26 - Esquive

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La présentation de notre exposé de Sciences Economiques et Sociales, supposé donner une idée du travail accompli par notre binôme depuis le début de l'année, est un fiasco. La classe nous regarde avec un air gêné, moqueur ou compatissant. Enfin, en réalité, la classe ne nous regarde pas : elle chuchote entre elle ou griffonne des choses dans son cahier. Mais les quelques élèves assez studieux pour nous écouter laissent deviner à quel point nous sommes en plein naufrage. 

Margaux, malgré le fait qu'elle ait abattu l'intégralité du travail, préparé les diapositives et écrit le texte, se fait saboter par sa timidité. Parler devant une trentaine d'adolescents ennuyés brise visiblement toute forme de confiance en elle. Ses mots peinent à sortir de sa bouche, ses phrases se cassent parfois en pleine course avant d'être reformulées, sa voix basse aurait dû pousser les lycéens du dernier rang à lui demander de parler plus fort s'ils en avaient eu quelque chose à faire de ce qu'elle racontait. Elle piétine timidement, les yeux baissés. Personne, à part le professeur, n'a le courage d'écouter son discours. 

Quant à moi, le fait que je n'ai pas touché une seule seconde au contenu de cet exposé me handicape sévèrement. En dépit des compétences partagées par Paul et de la feuille de notes que Margaux m'a partagée, je peux difficilement donner l'illusion de m'être préparée. Je découvre, slide après slide, des thèmes autour desquels j'essaie de broder avec un succès variable. 

Il y en a une qui sait de quoi elle parle mais ne sait pas parler, et l'autre qui sait parler mais n'a aucune idée de ce dont elle parle. À deux, on arrive à atteindre un même niveau de nullité tout en étant parfaitement opposées. C'est peut-être la pire collaboration que le monde ait jamais porté. 

À la fin, le professeur affiche une moue bienveillante qui ne l'empêche de nous poser une série de questions délicates. Margaux répond aux premières jusqu'à ce que l'enseignant, probablement conscient que je me cache derrière ma collègue, finisse par lui demander de me laisser la parole. Parfois, je retrouve une leçon de Paul dans le fond de ma mémoire et je crois m'en sortir pas trop mal. Le reste du temps, je bégaye une erreur qui fait fulminer Margaux. 

On retourne piteusement s'assoir sous le regard soulagé du reste de la classe, qui n'aura plus à subir notre pénible duo avant quelques semaines. Quand je passe à sa hauteur, Yanis me chuchote que je suis visiblement meilleure pour baiser que pour comprendre l'économie. Je sais que si je réagis, le prof s'empressera de me reprocher de dissiper mes camarades, parce que c'est toujours moi qu'on entend. Alors je m'assois en silence, docile et résiliente. 

À côté de moi, je sens le regard de Margaux qui me scrute. Elle doit rêver de m'étrangler. Ça fait plusieurs jours qu'elle m'a envoyé ses notes en me faisant promettre de les apprendre par coeur pour aujourd'hui. Étrangement, je n'ai jamais eu l'impression qu'une présentation de SES faisait partie de mes priorités dans la vie. Et maintenant qu'on en est débarrassées, je suis ravie de ne pas y avoir consacré trop de temps. 

— Ça va ? me demande-t-elle. 

— Bah ouais pourquoi ? 

— J'ai entendu la remarque de Yanis. 

— Et ? 

— Tu devrais en parler au prof. 

— Et je lui offre une séance cinéma pour qu'on regarde la vidéo à deux c'est ça, histoire qu'il comprenne bien le contexte ? 

— Non mais... il comprendra. 

— Et Yanis deviendra immédiatement mon meilleur ami dès qu'il aura reçu une heure de colle, c'est ça ? Chaque croix dans le carnet rend les gens tellement plus aimables, c'est vrai, j'avais oublié.

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant