18 - Statu quo

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Les jours qui suivent, le quotidien reprend un cours bizarrement normal. En retrouvant Nina au lycée pour la première fois, une légère culpabilité m'a donné envie de me livrer au sujet de Justine, mais à nouveau, je n'en ai pas eu le courage. Après tout, ça n'a aucune importance. Comme l'a dit la petite-amie de Théo : ce n'est pas comme si on allait sortir ensemble. 

Notre échappée alcoolisée demeure tout ce qu'il y a de plus officieux. Même lorsque nous sommes toutes les deux, nos marques d'affections se font légèrement plus discrètes. Il n'y avait aucune culpabilité à s'embrasser devant Théo lorsque nous étions persuadées de nous donner en spectacle, mais désormais que ces baisers recouvrent une attraction dont nous avons constaté l'étendue, nous rechignons à nous y abandonner aussi facilement en public. 

Cela ne nous empêche pas de continuer à flirter sous ses yeux, de se tenir par la main, voire même d'échanger parfois quelques baisers moqueurs. Mais, désormais, toutes ces démonstrations sont moins décomplexées, plus étranges à réaliser en sa présence. En se touchant, on ressent toutes les deux un frisson qui dépasse très légèrement le cadre de l'amitié innocente.  

Régulièrement, on s'invite mutuellement à passer l'après-midi chez l'autre, ou à même à y dormir pour toute une nuit, sans savoir s'il l'on aura à nouveau l'effronterie de réitérer nos actes illicites. La plupart du temps, il ne se passe rien d'autre que les plaisanteries séductrices que nous partagions déjà avant tout ça. Et puis, parfois, une blague un peu trop explicite démarre des hostilités rieuses. 

La présence de nos parents nous force à mettre de la musique et à contenir le volume. On essaie souvent de profiter avant qu'ils ne soient rentrés, ou au contraire après qu'ils soient couchés. L'impression d'irrégularité de nos unions leur donne une saveur follement excitante. Mais, à chaque fois, dès que nous reprenons nos souffles et remettons nos vêtements, c'est comme si notre amitié reprenait notre cours, inaltérée. 

Ces expériences intimes servent parfois de support à des vannes, une référence à une maladresse de Justine ou à une phrase stupide que j'aurais prononcée sous l'effet de l'excitation peut devenir le terreau de plaisanteries répétées. Mais c'est tout. En dehors de ces instants de partage décomplexé, rien ne semble avoir changé. 

Je finis par trouver un avantage dans la punition de Nina. Ma meilleure amie étant cloîtrée chez elle, il est facile d'organiser des "soirées entre filles" où Théo est de facto exclu. Il s'accommode facilement de nous voir passer autant de temps ensemble. Je devine que Justine fait quelques efforts pour le rassurer, mais rien de faramineux. De toute façon, il n'a aucune raison légitime de s'inquiéter. Ce qui se passe entre elle et moi ne met absolument pas en péril son couple. 

Entre filles, ça ne compte pas. 

Nos jeux illicites n'ont aucune commune mesure avec ce que j'ai vécu jusqu'ici en compagnie des garçons. Ils sont entrecoupés de rires et de blagues qui les dépouillent de tout sérieux. Il n'y a aucun enjeux, aucune attente de tout débriefer par la suite à nos groupes d'amis, aucun culte de la performance simulée et spectaculaire. Avec Justine, le sexe ne ressemble pas vraiment à du sexe. Ou du moins, pas à celui que j'ai connu. C'est une sorte d'excroissance agréable de notre complicité. Un lien suffisamment décontracté pour supplanter la pudeur. 

Du moins, c'est comme ça que je vois les choses. 

Même Nina ne paraît pas se douter de quoi que ce soit. Il faut dire que ses parents l'ont exclue de toute vie sociale extra-scolaire, et que je fais de mon mieux pour ne jamais lui laisser le moindre indice. Cela dit, elle remarque que je me rapproche de Justine, et j'y perçois parfois une pointe de jalousie. Mais elle ne s'imagine rien d'autre qu'une perte de sa place de meilleure amie, au profit de cette fille qui a le droit de sortir avec moi tous les soirs. Ce que l'on fait toutes les deux dans nos chambre ne lui traverse pas l'esprit. Pour elle, Justine est en train de la remplacer. C'est tout. Or, Nina et moi n'avons jamais vraiment atteint une telle connexion physique.

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant