L'amie de mon ami

20 - Assouvir

La fête bat son plein. Je ne compte plus les verres que j'ai enchainé depuis le début de la soirée. Tout ce que je sais, c'est que ma tête tourne joyeusement et que je peine à distinguer le moindre son dans le mélange de cris et de musique. La maison qui nous accueille est suffisamment grande pour permettre de se déplacer librement, malgré les dizaines de personnes invités. 

Au milieu de la salle à manger, on est six à participer à un match de bière-pong. Je suis totalement nulle, et l'ivresse ne m'aide pas à viser les gobelets de l'équipe ennemie. En revanche, les gens d'en face se débrouillent suffisamment bien pour que la quantité d'alcool dans mon sang ne cesse d'augmenter. 

Justine et Théo sont dans mon camp. Il n'y a que lui qui se débrouille pas trop mal. À chaque nouveau ratage, on éclate de rire. Théo est atterré par le défaite faramineuse qu'on est en train de se prendre. Il y a trois fois plus de gobelets dans la partie adverse de la table. Sur la nappe cirée, des tâches d'alcool reflètent la lumière du plafonnier.  

Il arrive assez rapidement un moment où nous n'avons plus rien à boire. Nos opposants crient victoires en se moquant gentiment du déséquilibre du rapport de force. Justine et moi acceptons l'échec sans honte. On va même jusqu'à avaler le contenu de quelques verres de l'équipe ennemie, comme pour signifier qu'on n'a pas encore assez bu. Théo nous observe, mi-amusé, mi-désespéré. 

On l'abandonne pour aller danser. Il est tard. Ça fait suffisamment longtemps que je n'ai pas sorti mon téléphone pour ignorer l'heure exacte, mais j'ai l'impression d'être là depuis une éternité. Je me déhanche devant Justine. J'oublie le monde. On se tient par la main. Je me régale de ses doigts entre les miens. Nos bassins nos frottent et nos sourires s'affrontent. 

C'est peut-être simplement ça, le bonheur. La chaleur de l'alcool mélangée à celle de son visage. Son regard saphir, d'autant plus beau qu'il se perd dans les limbes de la fatigue. Une musique qui nous empêche de parler ou de penser. Il n'y a plus qu'à contempler. Qu'à admirer sa frange qui volette parfois lorsque ses gestes de danseuses sont trop brusques. 

Le désir qu'on n'admet pas vraiment. L'excitation de se rapprocher comme ça, devant tout le monde, d'attirer l'attention, de rendre jaloux. On se sent stars. Sublimes et lascives, conscientes du pouvoir qu'on détient, heureuse d'en faire usage. On est au sommet. C'est comme si sa beauté décuplait la mienne. Comme si l'avoir dans mes bras me rendait plus superbe encore. Comme si on planait ensemble au dessus du monde, hilares. 

Sauf que Théo arrive. Il récupère sa petite amie qui se laisse faire. Ils s'embrassent et je me rappelle que tout ça n'est qu'un jeu sans conséquence. Je me rappelle qu'avec Justine, il n'y a rien de réel. Je l'observe qui passe ses mains sur ses fesses tandis que le baiser continue et j'abandonne la piste de danse en titubant. 

Je reprends à boire. À force de jalouser le couple de mon amie, je me persuade qu'il me faut un garçon. Que je suis là pour ça. Je ne me souviens plus à quand remonte la dernière fois que je suis restée seule aussi longtemps. Parfois, j'ai presque l'impression de m'en être accommodée. Et puis, quand je vois Justine se faire embrasser, la jalousie que je ressens malgré moi me laisse comprendre que j'ai besoin d'un homme. Que je ne peux rien y faire. Ils me manquent. 

J'étudie l'assemblée. Je bois lentement pour me donner une contenance, pour faire semblant que je suis occupée, que je n'épie pas seulement mes semblables. La plupart des gens sont en train de discuter. Mais il y en a un, plutôt mignon, qui croise mon regard. Je lui adresse un sourire qui vaut invitation. Il détourne les yeux. Pas moi. J'attends qu'il ait à nouveau le courage de me regarder. Quand il s'est assuré que je le scrutais, il hausse les sourcils. J'acquiesce. Il hésite et me rejoint.