Chapitre 31

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17 JANVIER 2010 – 9h30

Portland.

La rue animée de Portland est le théâtre parfait pour que tout se passe, le bon comme le mauvais, et tout ce qui se trouve entre les deux. J'ai le sentiment qu'il y a quelque chose dans l'air, comme si des yeux étaient braqués sur moi. Parfois, j'ai l'impression que des yeux sont braqués sur moi, que tout le monde sait. C'est absurde. C'est irrationnel. Mais c'est ce que ça fait... être ici.

Il ne me faut pas longtemps pour examiner les bâtiments environnants. Un rideau qui bouge dans une fenêtre sombre ou un regard furtif d'un inconnu peut être un signe de danger, ou rien du tout.

Je ne peux pas savoir.

Je n'ai jamais su.

L'air est lourd. Trop lourd. Ce n'est pas la météo, c'est l'atmosphère. Je sais ce qui m'attend derrière ces portes. Elles s'imposent comme une gueule béante prête à me dévorer, à m'engloutir dans ce qui m'attend à l'intérieur. Mon cœur bat trop vite, comme s'il voulait fuir avant moi. Je reste planté là, pieds cloués au sol, les jambes qui refusent d'avancer. Pourquoi je suis venu ? Parce qu'il fallait. Parce que c'est ce que font les gens « normaux ». Ils répondent à une assignation, ils affrontent ce qu'ils doivent affronter.

J'écarte d'un coup de pied la pile de mégots de cigarettes avant d'en allumer une autre. Un couple passe à côté de moi, leur rire perce l'air comme des coups de couteau. Comment peuvent-ils rire ? J'ai toujours trouvé ça étrange, le bruit des gens heureux. Ça me paraît irréel, factice, comme une bande sonore qui se joue en boucle pour faire croire à un monde qui n'existe pas. Un monde auquel je n'appartiens pas.

Je détourne le regard, scrutant les détails inutiles pour occuper mon esprit. Les mégots de cigarettes, écrasés dans la poussière près de mes pieds. Le goût du tabac est âcre dans ma bouche, mais il me donne une raison de respirer, quelque chose à tenir entre mes doigts. Quelque chose de tangible dans cette réalité où tout semble glisser hors de mon contrôle.

Je n'aurais pas dû venir.

La pensée revient, encore et encore, comme un refrain. Et pourtant, je suis là.

Je prends une bouffée, observe la fumée s'élever, se tordre et se fondre dans le ciel gris de Portland. Mon père aurait ri au nez de ma faiblesse. Lui qui traversait le monde comme s'il le possédait, comme si tout n'était qu'un jeu de pouvoir à manipuler du bout des doigts. Il n'avait pas besoin de mots, il avait sa présence. Moi, j'ai appris à ne pas parler. Les mots n'ont jamais eu d'importance pour moi. Ils ne sont rien, juste du bruit. Vous ne pouvez pas les sculpter, les façonner de vos mains. Je suis un homme de formes, pas de phrases.

Baiser une bouche, toucher une peau, voilà des gestes qui ont un sens. Mais parler ? À quoi bon ?

Les portes du tribunal se dressent devant moi, plus oppressantes à chaque seconde. Est-ce que j'entre ? Est-ce que je fuis ? Mon esprit hurle de fuir, mais mon corps reste figé. Finalement, mes jambes cèdent. Un pas. Puis un autre. Lourd, comme si chaque mouvement me rapprochait un peu plus de l'abîme.

J'y vais. Je vais entrer. Pourquoi ?

Peut-être parce qu'au fond, une part de moi veut affronter ce qui m'attend là-bas. Les murs de la salle d'audience, les regards fixes et les voix qui jugent.

Je me retrouve devant la porte. Un souffle rauque s'échappe de mes lèvres tandis que je la pousse, comme si ce simple geste exigeait toute l'énergie que j'avais rassemblée. À l'intérieur, c'est pire. Les lumières artificielles sont trop vives, et les sons des conversations résonnent contre les murs, tout semble amplifié. Les gens grouillent comme des insectes, chacun avec sa petite vie insignifiante.

PURSUED [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant