Aydan
Adossé contre le chambranle de la porte, je les regarde pendant ce qui me semble une éternité. Les filles feuillettent divers livres ensemble, prennent des notes de temps en temps et parlent à voix basse, sans doute pour s'échanger des informations importantes.
Si Emilyah a très vite remarqué très vite ma présence – elle n'a peut-être pas de pouvoirs magiques, mais je jugerais qu'elle a un sixième sens –, elle n'en a rien dit à Eldéa. Plongée dans sa lecture, elle ne se rend pas compte que je l'épie sans gêne. La vision de ces deux femmes ensemble réchauffe mon cœur meurtri par les derniers siècles. Avant, lorsqu'Eldéa était encore mariée à Ramay, les deux n'ont jamais eu la chance de se rencontrer, mais je savais déjà qu'elles s'entendraient bien.
Elles n'ont jamais été comprises par leur entourage.
Et je ne leur ai porté secours que bien trop tard.
Les derniers jours ont été difficiles. Je sais qu'Eldéa se souvient de certaines choses, je le vois aux différentes lueurs qui passent dans ses yeux, mais il est parfois difficile de déterminer ce dont elle se remémore précisément.
Bientôt, les souvenirs les plus dangereux parviendront à son esprit et je risque de la perdre. Je sais bien que je devrais tout lui dire, cependant j'en suis incapable pour le moment. Tout comme je suis incapable de la laisser aller à l'extérieur à la recherche d'âmes à sauver. Maintenant, dans cet entre-deux, je me sens plus heureux que je ne l'ai jamais été. Après des éternités et des éternités à expérimenter, j'ai réussi à ramener Eldéa auprès de moi, ses souvenirs lui reviennent, et nous nous sommes construits une routine qui me fait un bien immense.
Mais la Eldéa qui s'est relevée des morts n'est pas tout à fait la même que celle que j'ai laissé mourir par ma faiblesse. Elle est plus que déterminée à atteindre ses buts, et elle ne se cache plus derrière sa condition d'humain. Parce qu'elle n'en est plus une. Et je ne regrette pas ce que j'ai fait.
J'ai du travail à faire, j'en ai beaucoup trop pour rester là, à la regarder, et pourtant, je ne voudrais faire que cela pendant des jours entiers : l'observer sous tous les angles possibles. Après tant d'années à fixer son visage sans vie, le voir s'exprimer, plus que vivant, me procure un sentiment hors du commun. Je devrais m'en contenter, je le sais, pour éviter que le destin s'amuse de nouveaux avec sa vie...
Mais...
— Tu nous observais ?
Un petit sourire aux lèvres, les bras croisés sur ma poitrine, je dirige mon regard sur Eldéa, qui vient enfin de remarquer ma présence. Si elle ne semble pas en colère, je devine aisément que la sensation d'être épiée ne lui plait guère. Sur ce point-là, je ne peux pas la contredire...
— Tu as trouvé quelque chose ? lui demandé-je, me retenant de la taquiner.
L'entendre rire, se fâcher ou même rouspéter... peu importe, tant qu'elle respire. Chaque signe de vie me fait un bien fou. Je me rappelle qu'elle est là, en bonne santé, et que Ramay ne pourra plus jamais lui faire de mal. Je m'en suis assuré.
— J'ai trouvé plusieurs textes parlant d'Immortels avec des dons de feu, mais pas de lumière, déplore-t-elle, les épaules baissées, sans être défaitiste.
Une pause, puis :
— Je vais continuer à chercher
Je ne doute pas qu'elle le fasse. En fait, j'ai l'impression que si personne ne l'en empêche, elle cherchera toute la nuit, et ne se reposera pas.
Mais pour l'instant, ce n'est pas à moi de veiller sur elle. Ma sœur peut très bien le faire
Je me contente de hocher la tête avant de m'éloigner en silence, direction mon bureau. Ces derniers temps, je me suis éloigné de mes objectifs, passant beaucoup de temps à entrainer Eldéa. Sa présence m'ayant manqué, il était tout naturel que je me trouve le plus souvent possible en sa présence. Toutefois, j'ai un autre projet à mener, un projet qui me demande beaucoup d'énergie, et je ne peux plus me permettre de le retarder.
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Les Spectres Oubliés
FantasyEldéa se réveille, sans souvenirs, dans un château vide... Enfin, presque vide. Le maitre des lieux, Aydan, un homme aussi mystérieux que détestable, y vit, seul. Il lui interdit de sortir du manoir, la condamnant à une existence morne. Mais c'est s...