Je reconnaitrais ce cri entre mille. Cette voix, c'est celle d'Emilyah.

Sans y penser davantage, je referme en vitesse mon manuel et cours vers le couloir. Là, devant moi, se trouvent des créatures que je ne pensais jamais revoir. Des monstres. Pas un. Ni deux. Mais trois.

Ils sont pareils à mes souvenirs : de grands silhouettes minces, presque faites d'ombre, dépourvues de visage et d'attributs humains. Leur seule vision me donne la nausée. Mes yeux se portent aussitôt sur leurs griffes immenses. En un coup, elles pourraient déchirer Emilyah, qui n'a pas été blessée, cependant elle se trouve si près d'eux qu'un seul mouvement de leur part pourrait régler son sort.

Elle se recule pas à pas, tranquillement. Les monstres ne voient peut-être, mais ils peuvent entendre, et sentir. Sans y penser, je me précipite vers elle, la prends par le bras et la pousse derrière moi avant qu'ils ne se lancent à l'attaque. Je peux l'aider. Je dois l'aider.

Mes pouvoirs ne me permettent peut-être pas de brûler, mais la lumière doit vaincre les ténèbres, non ?

Tentative de consolation ratée, songé-je.

Je n'ai pas le temps de penser : tout se précipite. Mon cœur bat la chamade, mon esprit tourne si vite que je ne comprends pas ce qui se passe, ma respiration se fait erratique, mon corps se met en position d'attaque. Comme si je l'avais fait toute ma vie.

Qu'ils me combattent, moi, au lieu de s'attaquer à une âme pure comme mon amie.

— Qu'est-ce que tu fais, Eldéa ? crie Aydan, derrière moi.

Je l'ignore sans peine, me concentrant sur les trois bêtes sorties de mes pires cauchemars. Les quelques souvenirs que j'ai sont suffisants pour me rappeler à quel point elles sont dangereuses. Elles m'ont tout pris : mon royaume, ma famille, ma liberté. Elles ont tué, isolé, fait des massacres.

Et je ne resterai plus impuissante.

Les monstres n'ont pas de yeux, pourtant je pourrais presque sentir leurs regards se fixer sur moi. De concert, ils ouvrent leurs gueules, dévoilant d'immenses crocs capables de me tuer d'un coup.

La chaleur au sein de ma poitrine est revenue. Mes mains me chauffent elles aussi. Mon corps tout entier, bien qu'apeuré, me presse d'attaquer. Et c'est ce que je fais, alors que mes adversaires ont toujours leur attention concentrée sur moi. D'un un geste presque naturel, je rassemble mes deux mains devant moi et un immense rayon sort d'elles avant que je n'aie pu y penser.

J'ai à peine le temps de comprendre ce qui vient de se passer que je le vois atteindre le monstre le plus près, à l'endroit où son épaule devrait se situer s'il en avait une. Mais il n'a pas d'épaule, pas d'os, et encore moins de corps matériel. Mon attaque a très peu d'impact. La silhouette ombreuse de son arme n'existe plus, et c'est tout.

Il n'est pas bête : il a compris que j'ai lancé la première offensive. Menaçant, il s'avance d'un pas lourd vers moi.

Mon cœur redouble de panique. Je recule un peu, ne sachant pas où viser. Cette créature a-t-elle seulement un cœur ?

Et puis, tout comme son frère est apparu ce fameux jour où il m'a sauvée de la mort, Aydan apparait, tel mon sauveur. Des ombres, des nuages, d'obscurité rampent et grimpent sur les murs, atteignant aussitôt les créatures sanguinaires. Avec une fascination presque morbide, j'observe avec attention la démonstration de pouvoir à son état le plus léthal.

Malheureusement, sans je m'en rende compte, un bras m'entoure la taille et me pousse en arrière tandis qu'Aydan s'avance tel un héros. Il a le regard fixé sur les intrus, les traits presque détachés, comme si ce n'était rien. Comme si ce n'était qu'un jeu d'enfants pour lui. Il n'a pas peur.

Les Spectres OubliésWhere stories live. Discover now