Chapitre 39 {Regret}

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Surprit, il me libère en reculant d'un pas maladroit. L'étincelle qui animait son regard jusqu'à présent venait de disparaître, me laissant comprendre qu'une chose en lui s'était brisé. Son visage désormais inexpressif, contemplait un instant le vide qui nous séparait en silence.

Une atmosphère pesante régnait en maître dans la chambre, dont la seule lumière provenait d'une bougie en voie de s'éteindre d'ici quelques minutes. Alors je préférais ne rien dire, et patientait sagement encore contre le mur, en massant lentement mes poignets douloureux.

Mais il ne dit rien, et son manque apparent de réaction était surprenant. Je m'attendais à une nouvelle démonstration de force, avec de la violence et des insultes voire peut-être même pire. Et pourtant il m'avait relâché, trop abasourdi pour se moquer de moi.

C'est à ce moment précis, que je regrettais mes paroles. Et les conséquences de mon énervement seraient probablement irréversibles, et je ne savais pas comment m'excuser. Je pouvais clairement voir dans son regard que j'avais brisé quelque chose de précieux, et d'irremplaçable.

Si ma seule présence le rendait bon, mon emportement risquait de le rendre méchant. Mais pas comme un homme quelconque qui découvrait que sa femme le trompait depuis plusieurs années, et réfléchissait à comment se venger. Non, ce n'était pas de la colère, mais de la haine suffisamment profonde, et intense pour entraîner le plus fort des hommes dans la folie.

 L'envie de me confondre en excuses me traversait l'esprit, et pourtant aucun son ne franchissait la barrière qu'étaient mes lèvres.

Il m'avait blessé délibérément, et j'en avais fait autant. Mais apparemment il n'est pas aussi hermétique qu'il ne veut bien le laisser paraître. En effet, ses bras pendaient mollement le long de son corps, alors qu'il était encore absorbé par ses pensées tourmentées.

Finalement son égarement temporaire se terminait lorsqu'il me tournait le dos pour s'éloigner vers la porte qui menait à l'extérieur de la chambre. Je l'observais en silence quitter la pièce d'un pas déterminé, sans jamais se retourner vers moi.

Je m'apprête à le rattraper, pour le supplier à genoux de me pardonner mais mon corps refuse de s'élancer à sa poursuite, me rappelant son comportement aussi désagréable qu'inacceptable. S'il n'est pas d'accord avec moi, je ne le retiens pas.

En dix-sept ans, je n'ai jamais compté sur personne d'autre que moi-même. Bien entendu, ma mère et Thomas étaient toujours présents pour m'épauler, mais je me suis toujours débrouillée seule pour faire face à mes problèmes d'adolescentes.

Le harcèlement que j'ai pu subir au lycée, ne s'est jamais ébruité jusqu'aux oreilles de ma famille. Je les ai affronté seule, et jamais je n'ai cédé à la moindre de leur provocation. Elles ne méritaient pas mon attention, alors en quoi aujourd'hui serait différent ? Il n'a qu'à rentrer seul s'il tient vraiment à arrêter cette quête, moi je vais retrouver mes amies ainsi que mon frère.

C'est dans cet état d'esprit que je me douchais en quelques minutes avant de me glisser sous la couette pour dormir. Combattant jusqu'à ce que le sommeil m'emporte, le sentiment de culpabilité qui tentait par tous les moyens de s'immiscer en moi.

***

Point de vue Nathan

***

- Je te déteste. Ses mots raisonnent encore dans mon esprit, qui ne cesse jamais de les répéter jusqu'à ce que je puisse clairement lire chacune des lettres que comporte ce putain de mot, comme gravé au fer rouge dans ma tête.

Elle n'a pas hésité, et son regard froid me fixait intensément. Depuis notre première rencontre, elle n'a jamais menti, ou très mal. Elle finissait par détourner les yeux, certainement trop gentille pour assumer ce fardeau qu'est de manipuler une personne comme j'ai pu le faire des milliers de fois par le passé. Alors, tout à l'heure, elle pensait chacun de ses mots.

- Tu as bien besoin d'un verre, mon garçon. La voix du vieil abruti m'interpelle lorsque j'arrive à l'accueil. Je le dévisage sans répondre, lorsqu'il dévoile une bouteille de bourbon en disposant deux verres sur le comptoir ravagé par mes soins.

Je m'approche d'un pas traînant, ne souhaitant pas vraiment entamer la conversation avec le vieux. Mais un verre après ça, ne se refuse pas. Un sourire étire ses lèvres jusqu'à me faire découvrir ses dents jaunies probablement par la cigarette, et commence à remplir mon verre.

- Une fille ? M'interroge l'abruti avant de se servir. Je hausse vaguement les épaules pour seule réponse, avant d'avaler dans un cul sec la totalité de mon verre.

- Quelle descente ! Il s'exclame presque en admiration devant moi, alors que je grimace en me pinçant l'arête du nez lorsque je sens la liqueur brûlante s'attaquer à mon oesophage.

Le vieux me ressert, et se penche de manière exagérée par-dessus le comptoir pour me forcer à croiser son regard. Je lève les yeux au ciel, agacé par le fait qu'il ne cesse pas de me détailler avec attention.

- Les vieux c'est pas mon truc. Je grogne en avalant une nouvelle fois mon verre à peine servi. 

Ma remarque le fait rire bruyamment, mais il finit rapidement par se transformer en une quinte de toux monstrueuse.

- Niquel les microbes. Ma conscience s'énerve, alors que je pince mes lèvres dégoûté par ce spectacle sordide. 

« Vraiment sympa les lentilles rouges ! S'émerveille finalement l'homme sans jamais détourner le regard.

- Ouais, je sais. » Ma voix est à peine audible, je préfère ne pas m'aventurer sur ce terrain glissant, et fait disparaître mon troisième verre dans la foulée. Je le vois du coin de l'oeil fouiller dans sa poche jusqu'à sortir une petite boîte métallique.

« Tiens mon gars. Le vieux m'invite à prendre une cigarette, et c'est un petit plaisir que je ne me refuse pas.

- Pourquoi toute cette attention ? Je lui demande pinçant le bout entre mes lèvres pour attraper le briquer qu'il me propose, et allumer la cigarette. 

- J'aime pas picoler seul. » Sa voix est éraillée à cause de l'alcool, un rire nerveux m'échappe alors que mes poumons s'emplissent de la fumée toxique. Je relâche ma tête en arrière, et observe le plafond aussi ancien que le reste de l'auberge.

«  Alors cette fille ? Il revient à la charge, mais l'alcool que je viens d'ingurgiter a bien joué son rôle en endiguant mes tourments.

- Je vais probablement partir, elle me déteste. Je lui avoue, en tirant cette fois-ci plus fort sur la cigarette avant d'ouvrir légèrement la bouche pour laisser la fumée s'échapper. 

- Tu veux un conseil d'un vieux bonhomme ? Me demande l'aubergiste qui était complètement ivre, à moitié avachi sur son comptoir en ruine. 

- Un vieux bonhomme seul. Je lui fais remarquer, ne souhaitant pas connaître son conseil vaseux alors qu'il est probablement célibataire depuis le jour où il est venu au monde.

- Montres lui à côté de quoi elle passe. » Il ajoute à ses paroles, un mouvement obscène avec son bassin pour illustrer son allusion sexuelle. 

Aussi ridicule soit son conseil, je n'arrive pas à m'enlever cette idée de la tête. Je vais lui faire regretter ses paroles. 

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Sang-Mêlé Ω  Le Destin d'Ana ΩOù les histoires vivent. Découvrez maintenant