Je m'appelle Peeter Harrington.
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été seul.
Devenir Unique n'a été que la continuité de mon existence solitaire.
Je n'ai jamais connu ma mère. Elle est décédée d'une maladie rare alors que je n'avais que quelques mois. Ou quelques jours, je ne sais pas.
Mon père travaillait sur les quais de cargaison du Secteur 12, avant d'être muté au Centre de Rationnement du Secteur 9. Dans un cas comme dans l'autre, son travail lui prenait tout son temps. Ou alors, il faisait en sorte que ça lui prenne suffisamment de temps pour ne pas avoir à revenir à la maison plus de quelques heures par jour.
Lorsqu'enfin, il se décidait à rentrer, je sentais peser sur moi une menace constante. Au début, il se contentait de m'enfermer dans ma chambre, refusant de me voir. Il fallait que je sois silencieux. Comme si j'étais une ombre. Comme si je n'existais pas.
Comme si j'étais mort.
Le vide a toujours fait partie de ma vie.
Un jour, il a commencé à me reprocher tout un tas de choses. Il rentrait tard le soir, souvent saoul, et me convoquait dans la cuisine. Aucun de ses arguments n'avait de sens. Mais il avait toujours quelque chose dont il voulait m'accuser.
Très vite, ma vue lui est devenue insupportable. Ma grande taille, mes cheveux en bataille, mes ongles crasseux ou mon corps frêle. Tout semblait le dégouter. Il répétait sans cesse à quel point ma vue le répugnait. Que je n'avais rien hérité de ma mère. Ni de lui. Que je n'étais, et ne serais jamais rien. Et certainement pas son fils.
Et puis, un jour, les mots assassins n'ont plus suffit.
Un soir, il est entré dans la petite pièce qui me servait de chambre. Il m'a saisi par les cheveux et sorti de mon lit sans ménagement, pour me trainer dans la cuisine. J'ai hurlé, mais il n'a pas cillé. Ensuite, il a saisi une paire de ciseaux et me l'a tendue. Il m'a ordonné de me couper les cheveux.
Au début, j'ai refusé, et il m'a cogné. Fort. Alors je l'ai fait. J'ai pris le ciseau et j'ai coupé au hasard toutes les mèches que mes mains tremblantes arrivaient à saisir.
"Tu ressembles moins à une fillette, déjà, a-t-il dit d'un air satisfait. Maintenant, voyons si on peut faire de toi un homme."
Il m'a emmené dans le salon et m'a fait assoir sur le sol, devant la table basse. Cela faisait longtemps que je n'avais plus le droit de m'installer sur le canapé. Je ne devais pas salir les meubles de ma présence.
Il a prit une bougie, qu'il a allumé. Et puis, il a pris ma main et l'a mise au-dessus de la flamme. J'ai hurlé, j'ai pleuré, je me suis débattu mais il me maintenait.
"Soit un homme Peeter, et accepte la douleur, m'assenait-il."
Ma peau formait une cloque et j'étais prêt à m'évanouir. Mais j'ai entendu la voisine approcher au dehors. Elle avait dû être alertée par mes cris. Alors j'ai hurlé plus fort et cette fois, mon père a lâché ma main. Il m'a ensuite frappé si fort, que j'ai perdu connaissance.
J'ai supporté ses coups pendant des années. J'ai accepté les marques de lacération sur mon dos, les hématomes sur mon torse, les coupures occasionnelles dû à la vaisselle jetée à travers l'appartement.
Silencieusement, j'ai accepté la solitude et la douleur.
Lorsque j'ai été décrété Unique, je n'étais pas surpris. Je savais que j'étais fait pour être seul. Vivre sans l'amour de mes parents m'avait préparé à cette éventualité. Je n'aurais jamais de famille. Je n'en méritais pas une.
Mes résultats étaient exceptionnels. 95% de réussite, plus que le gouverneur lui-même.
C'était la première fois que l'on me donnait de la valeur. Et pour la première fois, je pouvais devenir quelqu'un. Un soldat. Pour ne plus jamais laisser quelqu'un me maltraiter, ou maltraiter les autres.
Mon père n'était pas là quand je suis venu chercher mes affaires. Il n'est pas venu me dire au revoir. Je ne l'ai jamais revu.
Mais alors que je m'apprêtais à rejoindre la base d'entraînement de la Milice, quelqu'un a frappé à ma porte. Lorsque j'ai ouvert, une enveloppe se trouvait sur le paillasson.
Il n'y avait pas de destinataire. Rien. Et pourtant, je savais qu'elle m'était destinée.
En l'ouvrant, j'ai découvert la photo d'une jeune femme. Et dès que mon regard s'est posé sur son visage, j'ai su que ma vie allait changer radicalement.
Elle portait de longs cheveux miel et de grands yeux bleus. Cette simple photo réussissait à faire battre mon cœur plus fort. A me plonger dans une transe que je n'avais jamais ressentie auparavant. Au dos, il était inscrit à l'encre noir "Faustine".
Depuis ce jour, je n'ai cessé de tout faire pour la retrouver.
Et je me suis juré que lorsque j'aurais réussi, je ferais tout pour la garder.
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- Unique - Tome 2
Fiksi IlmiahL'heure de vérité est arrivée. Le Système a révélé ses failles et le gouvernement tente l'impossible pour rétablir la paix dans la Nouvelle République. Au centre de cette lutte entre le gouvernement et la Résistance, d'autres secrets continuent...