Fragment vingt-neuf.

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Tout était noir autour de lui. Sombre. Lugubre. Chacune de ses pensées étaient redirigées vers Merle. Ses derniers moments de vie. Ses derniers mots. Ses dernières expressions faciales. Et enfin, cette dernière image. Son corps ensanglanté. Sa robe immaculée de sang. Sa posture impersonnelle. Harry se souvenait encore avoir touché le ventre de son amante, pensant naïvement que faire pression sur son corps inanimé lui permettrait de reprendre conscience. Elle était déjà morte mais cette vérité n'était pas acceptable pour le brun. Elle ne pouvait pas l'être. Pas elle. Pas maintenant. Pas alors que leur bonheur était complet et qu'il prévoyait de l'épouser. Et il se souvenait policier qui l'avait attrapé par le bassin. Et il se souvenait encore avoir été porté loin de Merle alors qu'il tentait de se débattre, criant, hurlant, son chagrin. Et il se souvenait de ce qu'il avait fixé pendant son interrogatoire. Ses mains. Ses mains pleines de sang. Ses mains pleines de Merle.

- Harry ! Cria la blonde en pinçant le bras du jeune homme.

Le chanteur posa son regard sur Joan, impassible. Il n'était plus là, plus totalement. Et il ne l'avait sans doute jamais été. Harry n'était plus l'homme qu'elle avait connu. Joan avait toujours gardé en tête l'image d'un homme idéal. Plein de charme, gentil, souriant, avenant, attentionné, doux, drôle... La liste de ses qualités était longue et pourtant, il n'avait jamais réussi à plaire à Joan. Elle aurait pu dire que les boucles n'étaient pas son genre ou que le nez de Harry était étonnement gros en comparaison des autres parties de son visage mais en réalité, cela ne relevait pas de l'ordre du physique. Ce n'était pas son corps en lui-même mais les perceptions qu'il lui faisait ressentir. Harry était beau mais mystérieux. Pas comme Liam l'était ou même Zayn. L'anglo-pakistanais n'aurait eu aucun mal à entrer dans une maison de couture, ce qui n'aurait pas été le cas de Harry. Il était trop exubérant, trop sûr de lui quand il parlait de l'avenir, pas assez quand il parlait de ses sentiments. Il connaissait tout mais au final, il ne savait rien. Il croyait que la vie consistait à faire la fête, à boire et parfois, à faire l'amour. Merle avait su faire ressortir le bon de sa personnalité mais à nouveau, Harry se renfermait dans un cocon. Un nouveau. Un qui n'était plus parsemé de poudre blanche et de boissons alcoolisées mais un tout aussi dangereux. Ses souvenirs.
Joan soupira bruyamment et fixa l'écran de son cellulaire en attendant que Harry retrouve ses esprits. Un sourire naquit sur le visage de la blonde à l'annonce d'un message de Niall mais elle préféra ne pas l'ouvrir en la présence du brun. Peut-être par respect. Peut-être parce qu'elle ne souhaitait pas exposer ses émotions à la vue du chanteur. Elle n'y pensa pas. Elle se contenta de ranger discrètement son cellulaire dans son sac avant que sa main frôle celui d'un cahier qu'elle ne connaissait que trop bien. Son cahier à dessins, l'ensemble de ses croquis qui ne la quittait jamais vraiment.
La blonde décida de s'en emparer et tourna frénétiquement les pages jusqu'à tomber sur une feuille immaculée qu'elle ne m'y pas longtemps à agrémenter d'une poignée de mains - exactement la même qui se trouvait tatouée sur le bras du chanteur. Et puis, elle dessina une paire d'yeux. Approximativement. Il y avait toute la partie technique, tout ce qu'on lui avait demandé en cours pendant des années. Joan avait une technique parfaite. Irréprochable. Pourtant, quand Harry se pencha au-dessus du cahier pour apercevoir les croquis, il fût déçu d'y voir ces graphismes sans âme. « Comme moi », songea-t-il un peu trop fort.

- Tu fais quoi ? Demanda le brun.
Joan cala une mèche derrière son oreille et releva la tête, ayant oublié la présence de Harry l'espace d'un instant.

- Rien d'important. Tu te sens prêt à parler, maintenant ?
- Non, avoua-t-il sincèrement.
- On peut faire une pause, si tu veux.

Harry fit grincer le parquet de la cuisine et tira sa chaise jusqu'à celle de Joan. Il s'empara d'un crayon à papier issus de la trousse de la blonde et pointa du bout de la mine tous les défauts qu'il avait réussi à repérer de loin.
Un souffle chaud quitta la bouche de Harry pour s'abattre dans la nuque de Joan avant qu'il ne s'exprime :

- Tes dessins ne te représentent pas.

Elle fronça les sourcils, perplexe, et arracha le crayon des mains du jeune homme.

- Et en quoi ?
- Ils sont bâclés. On dirait que le rendu final n'est pas ton but et ça, ce n'est pas toi. T'es pas le genre de filles qui est négligée. Et même si tu prétends ne pas faire attention à toi, tu le fais. Ca se voit. Et ça devrait transparaitre dans tes dessins.
- Et depuis quand tu t'y connais en dessin ? Tu es le représentant d'une galerie, peut-être ?Rétorqua Joan, piquée à vif.
- Non, mais Merle m'a appris.

Joan ne releva pas et préféra se concentrer sur ses croquis que Harry avait osé critiquer. Et elle avait beau dire qu'il n'y connaissait rien à l'art, elle restait blessée. Il s'était moqué d'elle et elle comptait bien le remettre à sa place. En douceur.

- J'ai pris des cours de dessins, expliqua la blonde sous le regard attentif du chanteur. Donne-moi un modèle, une idée, un sujet, et je pourrais le mettre en forme sans problème. J'étais douée pour ça. Pas la meilleure mais je savais m'adapter à n'importe quelle situation. Ma mère dira que mes cours m'ont tout appris, mon père dira que j'ai un don et je crois qu'ils ont raison tous les deux mais je m'en fiche. Je sais dessiner. Tout. N'importe quoi. Sauf que je n'ai jamais pris plaisir à y faire jusqu'à ce que mon prof m'interpelle sur une de mes œuvres. Ce n'était pas grand-chose, juste un autoportrait qui ne reprenait que la perception de mon corps plutôt que mon corps entant que modèle. Mais pour mon prof, cette œuvre était la plus belle qu'il ait vue. Et là, j'ai compris. L'art, ce n'est pas quelque chose de réel. Ce n'est pas quelque chose qu'on enseigne. On n'apprend pas aux gens à voir à travers notre âme, c'est inné. J'ai dessiné beaucoup de choses dans ma vie mais la technique, ce n'était définitivement pas pour moi. Je ne vois pas l'intérêt que mes traits soient fins du premier coup ou encore que je sache tracer un cercle parfait à main levée. Ce n'est pas ça qui importe, c'est tout ce qu'il y a derrière. L'émotion que l'on ressent, celle que l'on transcrit et bien sûr, celle que l'on suscite. La vraie technique, c'est de ressentir. De ne plus voir avec ses yeux mais avec son cœur. Et quand on saisit cette richesse, on est une personne complète.

Mais Harry continuait d'être morcelé. Il avait l'impression de trouver sa défunte amante dans les mots de Joan. Merle parlait comme ça aussi. Avec son cœur. Avec son âme. Et elle l'aimait de cette manière, avec autant d'intensité. C'est ce qu'elle lui avait confié, un soir, après l'amour « Tu es beau, avait-elle susurré au creux de son oreille avant de caler sa tête contre sa nuque encore chaude. Tu es le plus bel homme que le Ciel m'a permis de voir. Le plus parfait. Mais je ne te vois pas avec mes yeux, Harry. Je te vois avec mon cœur. Pure et sincère. Je te vois tel que tu es, pas telle que la génétique t'a crée. »
Une larme silencieuse traversa la joue droite de Harry avant d'être stoppée par la main rassurante de Joan. Le brun posa son regard sur elle, ce même regard vide qu'il avait depuis le début de son séjour ici, et attrapa la main de la blonde. Il n'avait pas besoin que l'on vienne consoler son chagrin - ce dernier était insurmontable – mais il avait besoin de l'aide de Joan pour prouver son innocence. Elle était sa dernière chance. Son ultime espoir.

Guilty.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant