Fragment vingt.

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L'art. C'était quelque chose de si absurde pour Harry. Il n'avait jamais compris à quoi cela consistait. En quoi est-ce qu'un point rouge sur une toile blanche pouvait être « inspirant », « magnifique » ou encore « la plus belle œuvre au monde ». Steve, son manager, était passionné par tout ça. L'art abstrait. Harry pensait que dans ce rond, Steve y voyait une sphère. Un cercle sans fin. La routine que pouvait représenter la vie. La lassitude. Le mal-être. Pourtant, ce n'était pas ça. L'art abstrait ne consistait pas à gribouiller quelques traits sur une toile en demandant au public de faire sa propre interprétation de l'œuvre. C'était plus compliqué. Bien plus compliqué. Et Harry ne voyait pas l'intérêt de s'y intéresser. Merle aimait ça aussi. Avant. Quand elle était en vie. Mais pas tout ce qui était abstrait, elle non plus n'y comprenait pas grand-chose mais contrairement à Harry, elle était curieuse. Sa culture était impressionnante mais ce n'était rien en comparaison de son envie d'en savoir chaque jour un peu plus. La moindre chose l'intéressait. Elle ne voulait pas avoir la science infuse mais elle souhaitait connaître le fonctionnement du monde. Et de l'Homme. D'où les deux années qu'elle avait passé en fac de médecine avant d'abandonner pour pleinement s'investir dans sa carrière de mannequin puis d'actrice. Merle ne savait pas ce que représentait un point rouge sur un fond blanc mais elle aimait embellir son appartement de tableaux. Pas de pâles copies de Monet ou de Picasso. Elle admirait les peintres d'époque mais ce qu'elle aimait surtout, c'étaient les contemporains. Et ces artistes qui possédaient un talent fou pour la peinture mais que personne ne voulait reconnaître parce qu'ils ne descendaient pas d'une riche famille et n'avait aucun descendant étant artistes de renon. Sauf que Merle, elle, voulait laisser une place à ces personnes, à ces artistes inconnus qu'elle plaçait au cœur d'une conversation, en ventait leurs ouvres, en jouant les vendeuses en revendant ses plus belles toiles. Elle voulait que tout le monde ait sa chance de briller sur Terre. Elle avait été l'un d'eux et elle voulait qu'ils soient au-dessus d'elle. Et Joan semblait posséder cette même mentalité. Elle n'était pas le genre de filles à se mettre en avant, à rire plus fort pour qu'on la remarque, à enfiler une robe moulante ou encore à séduire un investisseur pour obtenir un contrat. Joan possédait une discrétion qui plaisait à Harry. Le chanteur décida de quitter sa chambre pour regagner la cuisine. Comme à son habitude, une tasse de café fumante était posée sur la table et la pièce sentait un mélange d'arômes si différents des uns des autres que Harry ne sut ce que Joan lui avait préparé. Il ne l'avait jamais vu vraiment cuisiné, ces quatre derniers jours. Il ne pensait pas qu'elle soit capable de préparer autant de nourriture pour un simple petit-déjeuner qu'il avait pris l'habitude de ne pas prendre. Un café noir avalé sur le pouce lui convenait parfaitement. Pourtant, aujourd'hui, il décida de sortir la brioche qui dorait au four. Il se coupa une tranche et posa un morceau de beurre dessus, le regardant fondre au contact de la mie encore chaude. Il s'empara ensuite d'une crêpe qu'il voulut saupoudrer de sucre jusqu'à ce qu'il ne s'aperçoive qu'elles contenaient déjà un ingrédient secret. De la cannelle. Cela pouvait paraître étrange mais bien dosée, les crêpes étaient délicieuses avec cet ingrédient mystère. Harry prit même la peine de se resservir une tasse de café et d'y ajouter une touche de lait avant de tremper sa tranche de brioche demain, sous un grognement de plaisir. Joan était une cuisinière remarquable et une parfaite « garde-malade ». Et c'est à ce moment-là que la blonde décida de faire son entrée dans la pièce, essoufflée. Ses joues avaient pris une jolie teinte rose alors qu'elle laissa tomber des ses mains l'ensemble de ses affaires dont l'une de ses toiles qu'elle avait à peine pris le temps d'emballer.  

- Contente de voir que tu manges, dit-elle seulement avant de se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre le placard au-dessus du four.  

Cette phrase était sortie d'elle-même et Joan craignait d'avoir été désagréable. Elle persistait, continuait de garder son cellulaire éteint pour ne pas être en contact avec Niall mais elle devait avouer que sans ses directives, elle ne savait que faire de Harry. Alors, elle le laissait vivre sa vie. Il visitait la maison, une partie du terrain appartenant à la famille de Joan, mais il passait la majeure partie de son temps dans sa chambre. La blonde n'avait pas mis un pied dedans. Jamais. C'était son jardin secret comme c'était le cas pour elle avec son atelier. On pouvait y entrer seulement lorsqu'on avait eu sa permission. Et on ne l'avait pas facilement. Et elle ne l'a donnait pas oralement. La peinture, ce n'était pas une question de mots. Plutôt de maux. Et ses silences, leurs silences, en disaient long sur eux.  

- Oui, merci pour tout ça, reprit Harry. Je ne savais pas que tu savais bien cuisiner. Je me plains pas de ce que tu m'as fait jusque là mais tu... Je... Je ne manges pas le matin, murmura-t-il.

- Tu as mangé. - Parce que ça avait l'air bon. Et ça l'est. Je comprends pourquoi Niall est avec toi.  

Inconsciemment, Joan esquissa un sourire triste. Niall lui manquait. L'Angleterre aussi. Et l'Irlande. Les Etats-Unis avaient beau être son pays d'origine, Joan ne s'y sentait pas chez elle. « Home is where the heart is ». Et quand son cœur n'était pas auprès de Niall, il se trouvait à Londres. Son vrai chez elle. Harry remarqua le voile triste qui s'était installé sur les yeux de la jeune femme et il ne sut s'il en était responsable. Sans doute. Sa tristesse était apparut lorsqu'il avait ouvert la bouche mais était-elle triste parce que Niall lui manquait ou parce qu'au contraire, les choses n'allaient pas entre eux ? Harry aurait aimé appeler son meilleur ami pour lui poser la question mais il savait que c'était une mauvaise idée. Il avait besoin d'un break. D'une vraie pause. Et appeler Niall serait mauvais pour lui. Pas à l'heure actuelle, du moins. Pour couper court à cette discussion qui les rendait finalement tous les deux mal à l'aise, Harry décida de s'intéresser à autre chose. Comme cette toile présente devant lui. Abstraite. Plusieurs traits sombres alignés parallèlement. Et d'un coup, un trait jaune. En plein milieu. Coupant le cynisme que la toile aurait pu exprimer.  

- Qu'est-ce que c'est ? L'interrogea le garçon.  

Joan chassa l'image de l'Irlandais de ses pensées et se concentra sur ce que Harry désigna du doigt. Elle haussa les épaules et répondit :  

- C'est rien. - D'accord.  

Il n'insista pas et baissa la tête sur sa tasse de café au lait. Joan soupira et s'empara de la bouilloire. Elle glissa un sachet de thé au fond de sa tasse et le recouvrit du liquide bouillant. Elle souffla sur la buée s'échappant de la tasse et s'assit devant Harry. Joan inspira profondément et découvrit l'intégralité de la toile pour que le chanteur est une vue d'ensemble de son œuvre.  

- Je n'ai pas réussi à la vendre.

- Parce que... Ca, se vend ? Demanda sincèrement le bouclé, surpris.

- Oui. C'est mon métier donc heureusement. Je serais à la rue, autrement.

- Mais... Tu es peintre ? C'est ton job ? Tu ne fais pas ça pour le plaisir ?

- Tu es bien placé pour savoir qu'un métier peut également être une passion mais oui. Je peins. Je les expose. Je les vends. Sauf elle. Un client était intéressait mais finalement, non. Je le comprends. J'ai fait beaucoup mieux que ça. C'est nul. C'est tellement pas moi...  

Harry fronça les sourcils et regarda la toile avec d'avantage d'attention. En quoi est-ce qu'elle possédait quoique ce soit de spécial ? Ce n'étaient que trois traits. De différentes nuances de gris. Avec cet affreux trait jaune en plein milieu. Le chanteur chercha à trouver des détails importants, une signification quelconque à l'œuvre devant lui mais il n'en trouva aucune. Ce n'étaient qu'un gribouillage d'enfant fait par une adulte. C'était ça le plus choquant, dans le fond.  

- Tu es étrange, se permit-il de lui dire en continuant d'inspecter la toile.  

Joan se contenta d'hausser les épaules et remballa sa toile. Elle n'était pas déçue, ni même en colère face au comportement de Harry. Cela lui était égal. Elle n'écoutait pas sa musique, lui ne voyait pas son œuvre. Il l'avait regardé, certes, mais ce n'était pas la même chose. Parce qu'il ne croyait pas que l'art soit quelque chose de sérieux et de réel mais elle, elle voyait tout ce que lui ne voyait pas. Il ne s'agissait pas de vision, de détails, de coups de pinceaux. Seulement d'interprétation. Juste de son imagination. Son imagination...

Guilty.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant