Fragment quinze.

611 29 0
                                    

Harry s'avança doucement dans la cuisine, le cœur battant à toute allure. Il finit par s'asseoir autour de la table ronde et regarda Joan poser l'ensemble des courses devant lui, lâchant un soupir par la même occasion. Son chignon n'était plus aussi impeccable que ce matin et quelques perles de sueur venaient de prendre naissance sur son front opalin. Il la regarda longuement s'activer dans la pièce. Retirer ses pieds de ses escarpins beaucoup trop hauts et sophistiqués pour elle. Ouvrir l'un des sacs en kraft. Observer le contenu. Mettre la boite d'œufs au frais et en faire échapper un.

- Merde, lâcha-t-elle avant d'énoncer une dizaine de noms d'oiseaux dédié à sa propre personne.

Joan se promit de laver le sol après, une fois que l'ensemble des articles seraient rangés. Elle continua alors de ranger ses courses. Parfois, elle devait se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre le placard d'en haut, là où elle rangea une boite de céréales qu'elle rêvait secrètement de manger en guise de déjeuner. Mais elle ne le ferait pas en la présence de Harry. Elle voulait se faire bien voir devant lui. Elle finit de ranger les derniers morceaux de lards au frais et mit de l'eau à bouillir sur la gazinière. Joan se tourna ensuite vers Harry et esquissa un sourire pour tenter de masquer sa gêne. En vain.

Jusqu'ici, Harry avait toujours été celui qui faisait le premier pas avec elle. Celui qui avait tendu poliment sa main à la blonde pour la saluer, afin de compléter leur présentation. Celui qui avait retenu la porte de l'ascenseur pour qu'elle puisse pénétrer dans la cabine. Celui qui riait plus fort pour atténuer le malaise de Joan. Mais aujourd'hui, alors qu'elle avait le plus besoin de son attitude qu'elle avait toujours trouvé excentrique et déplacée, elle aurait bien aimé que cette partie de Harry ressorte. Qu'il décide de se lever de sa chaise et mette la table en dansant sur une chanson qui passait sur les ondes. Du Elvis, pourquoi pas, pour compléter le cliché de la vie dans la campagne américaine. N'importe quoi aurait été préférable à leur silence et au regard sans vie que lançait le brun en sa direction.

- Tu manges de la viande ? Tenta-t-elle de demander pour lancer la conversation.

Harry se contenta d'hocher positivement la tête. Joan le savait déjà. Souvent, Niall, Harry et elle se rendaient au fast-food du coin pour déguster quelques pillions de poulet doucement dorés et agrémentés de panures. Le chanteur savait que Joan franchissait toutes les limites qu'elle s'était fixé en lui parlant avec un ton le plus naturel possible mais à son tour, il ne voulait pas faire d'efforts pour elle. Pour personne. Il préférait continuer de sombrer dans un chagrin sans fin, à pleurer la mort de sa petite-amie et à se demander où pouvait se trouver la bague de fiançailles qu'il avait acheté à Merle. Ce n'était pas la bague de sa grand-mère, ni même l'une de celle qui vaut plusieurs milliers de dollars. Elle était plutôt simple, à vrai dire. Un anneau agrémenté d'un diamant si petit qu'il paraissait inexistant, tout à fait le genre de bague qui plaisait à Merle. Tout l'inverse de Harry. Lui était toujours dans l'excès. Dans le plus. Quand il était amoureux, il voulait ce qu'il y avait de plus beau pour son amante et il lui avait fallu plusieurs années pour comprendre que la grandeur de l'amour ne se mesurait pas à l'argent que l'on est prêt à débourser. Joan semblait raisonner de la même manière. C'est du moins ce que Harry croyait jusqu'à ce qu'il vienne ici. La maison était isolée et sûrement d'un montant inestimable, tout comme les voitures de collection qu'il avait repéré dans l'ancienne grange. Joan ne semblait pas manquer d'argent mais elle avait toujours vécu modestement. Du plus loin qu'il s'en souvienne, Harry l'avait toujours vu s'habiller simplement, emprunter la voiture de Niall seulement quand elle voulait aller faire les courses et utiliser fréquemment le métro londonien pour se promener en ville. Cela le surprenait, maintenant. Harry ne dépensait pas non plus son argent à tout va mais il aimait les belles choses. Pouvoir s'offrir une montre de valeur, une voiture pas encore sortie sur le marché, louer un magasin pour pouvoir du shopping sans être dérangé par les fanatiques et les paparazzis. Et aujourd'hui, pour la première fois depuis le meurtre de Merle, Harry mesurait l'impacte qu'aurait cette affaire sur sa carrière. Il ne serait plus jamais le même.

Joan versa le paquet de pâtes dans la casserole et mit en marche la radio par la même occasion. Les habituels tubes passaient sur les ondes, ceux qu'on prévoyait être « le tube de l'été!!! » mais qui n'était en réalité que d'énièmes reprises des années 80. Joan opta pour une radio locale qui diffusait l'intégralité des titres de John Mayer pour la journée, annonçant ainsi sa venue prochaine dans l'état. Le deux Juin. La veille du procès de Harry. Les deux jeunes levèrent la tête à l'entente de la date avant qu'un voile de tristesse ne s'installe sur les yeux du brun. Il n'aurait pas la chance de voir l'un de ses artistes préférés avant que son procès commence.

- Cette chanson a été écrite pour Taylor, dit le bouclé.

Joan fronça les sourcils et se concentra d'avantage sur la chanson. « Paper doll », le titre issu de son album sorti quelques années plus tôt. La blonde ne trouvait pas qu'il s'agissait de la meilleure chanson du brun mais elle aimait le rythme calme et la poésie que l'on retrouvait dans les paroles du chanteur. Joan avait toujours pensé qu'après la séparation de One direction, Harry se rangerait du côté de Mayer et ferait une carrière similaire à la sienne mais le bouclé avait préféré le rock à la country et il faut dire que son choix artistique –plutôt audacieux- avait payé.

- Je l'aime bien, répondit Joan avant de reporter son regard sur ses mains qu'elle bougeait nerveusement sur la table de la cuisine. J'adore conduire avec cette musique en fond sonore. Ca me fait penser à la liberté.

- Et moi, à mon ancienne copine.

L'espace d'un instant, Joan crut qu'il parlait de Merle et elle se préparait déjà à bondir pour couper le son et consoler Harry mais à son sourire espiègle, elle comprit qu'il parlait d'une autre petite-amie. Une plus célèbre. Une plus controversée, aussi. Taylor Swift. La fille de la chanson, bien sûr. C'était évident maintenant la référence qu'avait fait Harry, un peu plus tôt.

- J'ai écrit une chanson sur elle, expliqua le brun, plus tard. C'est pas grand-chose, je la critique pas, je raconte pas notre histoire. Je parle juste de son amour pour l'amour. Je voulais la mettre sur mon album mais Steve m'a dit que je devais faire attention à mon image. Alors, je la garde dans mon carnet.

La blonde lui sourit sincèrement et tous deux se laissèrent transporter par la voix de John Mayer jusqu'à ce que l'un des morceaux inspire la jeune femme. Prise d'une envie irrémédiable de dessiner, Joan essaya de dissimuler ses doigts qu'elle échauffait, dans le but de se préparer à tracer une nouvelle œuvre. Pas une toile. Pas de la peinture. Là, elle voulait juste gratter un crayon contre le papier usé de son cahier à dessins. Un vieux bouquin qu'elle avait trouvé dans les cartons de la maison et qu'elle s'était appropriée cette nuit, après sa conversation téléphonique avec Steve et Niall. Discrètement, Joan extirpa son carnet de son sac à main et le posa sur la table. Elle s'empara d'un stylo présent sur la table et commença son œuvre. Rien de bien compliqué. Elle ne cherchait pas à se laisser aller dans un travail au rendu parfait qu'elle afficherait tôt ou tard dans une galerie. C'était plutôt l'inverse, pour le coup. Elle ne voulait pas que son rendu soit beau ou que l'on remarque son emprunte. Elle ne voulait pas être très technique et venter ses mérites de bonne dessinatrice. Elle voulait seulement se laisser bercer par sa passion pour le dessin.

Curieux, Harry se redressa sur sa chaise et tenta d'entrevoir les esquisses de la blonde. Peine perdue. L'eau des pâtes se mit à bouillir trop forte, se renversant sur la gazinière qui émettait des flammes de plus en plus hautes. Harry se précipita vers la cuisinière qu'il coupa avant de se tourner vers Joan, le regard paniqué, à bout de souffle. Il avait évité le pire.

- Il y a une sécurité. En cas de débordement, le gaz se coupe.

Joan referma son cahier et versa les pâtes dans une passoire avant de les servir au bouclé. C'était un premier contact, quelques mots qui venaient de débloquer la situation. Une conversation qui leur avait permis de ne plus être paralysés par cette gêne constante. Le meilleur était à venir.

Guilty.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant