Fragment trente-trois.

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Joan quitta son tabouret et regarda l'œuvre qu'elle venait de dessiner. Elle avait été prise d'une telle passion pendant son travail qu'elle n'avait pas encore conscience que cette œuvre était la plus belle et la plus sincère de l'ensemble de sa carrière. De toute sa vie. Même le choix du fusain avait été réfléchi de manière inconsciente mais le résultat était bluffant. Harry était dessiné sous trois formes et toujours avec cette même impression d'usure. Le fusain apportait un côté bâclé au dessin, faisant ressortir chez le chanteur la cassure qu'il y avait en lui. Cette faille si grande, si profonde et insaisissable. La blonde se laissa tomber sur le sol, épuisée par son travail, et attrapa le carnet afin de poursuivre sa lecture. Maintenant, elle voulait en savoir plus sur l'autre partie de Harry. Elle connaissait sa détresse, la difficulté qu'il avait à se livrer et à être simplement lui-même. Maintenant, elle voulait voir le Harry de Merle. Comment il avait fait pour décrocher de l'alcool et autres substances licites ou non. Comment elle avait réussi à lire en lui. Comment est-ce qu'il l'aimait, aussi. Surtout. Joan n'avait jamais compris pourquoi Merle plutôt qu'une autre et enfin, elle allait connaître la vérité. Mais ce qu'elle découvrit dans le carnet ne fût pas exactement ce à quoi elle pensait. Harry avait vaguement parlé de leur rencontre. Juste qu'il l'avait rencontré lors de la fashion week de Paris et qu'il l'avait invité à dîner dans un restaurant chic de la capitale française. Il pensait l'avoir séduite jusqu'à ce qu'elle le coupe dans son jeu. Merle avait compris que tout ce qu'il voulait, ce n'était pas un coup d'un soir mais une présence au fond de son lit. Il avait peur de la nuit. Une vraie peur. Irrationnelle, certes, mais réelle. Alors, Merle s'était juste allongée dans son lit et l'avait écouté parlé de sa vie toute la nuit. Sans rien dire. Elle n'avait pas parlé, pas bayé et ne s'était pas même montrée désintéressée. Elle était là. Pour lui. Et c'était tout ce dont il avait besoin. Ils n'avaient dormi que deux heures cette nuit-là et à son réveil, Harry lui avait demandé de l'accompagner à Londres. Et elle avait dit oui. « Un peu par hasard, un peu confuse. Je crois qu'elle ne prenait pas conscience de l'importance de sa réponse, à cet instant. » avait retranscrit Harry avec son écriture fine et fluide. Il venait de tomber amoureux mais il ne le savait pas encore. C'est surtout la suite qui surprit Joan. Aucun amour ne transparaissait quand il décrivait sa vie avec Merle. Aucun sentiment. Il contait des faits, ce à quoi ils occupaient leur temps quand ils étaient ensemble. « Merle a un défilé la semaine prochaine et elle m'a demandé de l'accompagner. » ; « Merle va passer un casting pour un film. Son manager dit qu'elle est la favorite et que c'est déterminant pour sa carrière » ; « Je dois aller enregistrer en studio ; Merle sera là ». Pourtant, lorsque Harry se laissait bercer par ses sentiments le temps d'une chanson, on pouvait se rendre compte de l'immensité de ses sentiments. Il l'aimait, c'était certain. Mais à sa manière. Avec retenue. Avec cette peur de la perdre à chaque fois qu'ils se séparaient. Quelque chose d'autre surpris Joan. Une phrase que Harry avait écrite à propos de Merle et dont elle n'arrivait pas à saisir le sens exact. « Mais maintenant que tu es partie... » Qu'est-ce que cela voulait-il dire ? Qu'à un moment donné, Merle et lui avaient rompu ? Qu'elle l'avait quitté ? Joan se souvenait d'un titre de l'album de Harry qu'elle avait vu inscrit dans le carnet. Elle tourna les pages à vive allure jusqu'à ce qu'elle tombe sur la tracklist. Stolen. Cette chanson était elle aussi adressée à Merle ? Tout s'embrouillait dans l'esprit de la blonde. La fragilité de Harry. Sa détresse. Ce manque de considération pour sa petite-amie. Son amour débordant. C'était comme s'il était deux hommes. L'un, chétif et brisé, cherchant une femme qui serait capable de le comprendre et de l'aimer. Et l'autre, froid et distant, essayant de détacher son corps de ses sentiments. Et la blonde ne comprenait toujours pas pourquoi Harry lui avait remis ce cahier. Joan saisit son cellulaire avec hâte et chercha le numéro de son petit-ami dans son répertoire. Elle respira profondément, priant pour que Niall réponde au plus vite. Elle ne supporterait pas de tomber sur son répondeur maintenant.  

- Allo ?  

Un soupir de soulagement franchit la barrière de ses lèvres. Joan retenue les larmes qui avaient envahies ses pupilles vertes et regretta l'espace d'un instant son coup de fil. Voulait-elle vraiment parler de cette histoire à Niall où lui manquait-il tellement que c'était une nécessité pour elle d'entendre sa voix ? Joan chassa les quelques perles qui s'écoulèrent le long de ses jours et inspira profondément avant de murmurer :  

- Salut...

- Joan ? Demanda Niall, visiblement inquiet. Tout va bien ?

- Je... Oui, oui, ne t'en fais pas.

- Tu es sûre ?

- Je suis juste fatiguée. Et tu me manques.  

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres du blondinet. Il avait tellement peur que ce séjour aux Etats-Unis les éloigne. Il voyait Joan se rapprocher de Harry et s'éloigner de lui et il craignait qu'elle le quitte, à son tour. Il pouvait plus ou moins supporter la dérive de Harry seulement car Joan était là pour le soutenir. Seul, il sombrait.  

- Je ne veux plus être ici, Niall. Je veux rentrer à la maison.

Jo', il faut que tu continues tes recherches. Tu sais que sans ça, il risque de finir en taule. C'est mon meilleur ami, je peux pas le laisser aller là-bas.

Le problème, Niall, c'est que plus je continue, plus je doute de son innocence. Harry n'est pas si blanc que ça dans cette affaire.

T'insinues qu'il la tué ?

J'en sais rien justement, soupira-t-elleJe te jure que l'homme qui se trouve devant moi est à mille lieux de ce qu'est Harry d'habitude. J'ai peur de ce que j'ai découvert. Et j'ai encore plus peur de ce que je risque de découvrir...   

Liam fronça les sourcils en voyant le trouble qui était en train d'envahir Niall. L'irlandais savait qu'à un moment donné, sa petite-amie craquerait et le supplierait pour qu'il vienne la chercher mais il pensait que ça arriverait plus tôt. Pas maintenant qu'elle avait découvert une autre facette de Harry et établie une relation de confiance. Niall ne trouva rien à redire et lorsque Liam saisit son cellulaire, il le laissa faire. Il était impuissant dans cette situation. Son statut de petit-ami l'empêchait de raisonner normalement. Son cœur était tiraillé entre son envie de sortir Harry de l'impasse et de satisfaire les envies de Joan. Son meilleur ami ou sa petite-amie. Le choix était impossible.  

- Joan, c'est Liam.

- Où est Niall ? S'inquiéta-t-elle.

- A côté. Tu ne peux pas lâcher maintenant, Joan. T'es si près du but. On viendra tous te rejoindre dans quinze jours, pour le procès. Faut que tu sois forte d'ici là, d'accord ? Je sais que Niall te manque et que Harry ne doit pas être facile tous les jours mais... Liam soupira. Ces deux semaines sont déterminantes pour lui. T'es sa seule chance pour qu'il n'aille pas en prison. Son avocat cherche des alternatives, Niall et moi on cherche des témoignages en sa faveur mais tant que Harry ne dit pas ce qui s'est passé cette nuit-là, tout ce qu'on fait ne sert à rien. On a besoin de toi, Joan. S'il te plait. S'il te plait... répéta-t-il, telle une supplication.

Guilty.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant