Chapitre 20 - You can call on me when you can't stop the tears from falling down

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Dimanche 25 décembre

Nous roulons depuis un long moment dans la nuit noire et pluvieuse de ce triste Noël. Quand il m'a rejoint sur le bord de la route où mes pas m'avaient guidée, il m'a trouvée complètement trempée, assise sur un banc en bois à moitié bancal. Mes longs cheveux bruns gorgés d'eau étaient collés à mon visage pâle et brisé par tout le mal que mes parents m'ont fait un peu plus tôt. Je tenais fermement mon sac contre mon ventre, comme on s'accrocherait à une bouée de sauvetage en plein naufrage. Toutes mes affaires étaient rassemblées dans cette sacoche ruisselante et en cet instant, j'avais l'impression que c'est tout ce qu'il restait de moi. De pauvres vêtements mouillés. A part cela, je n'avais plus rien. Plus de famille, plus de force, plus d'envie.

Je colle ma tête contre la vitre de l'automobile et je laisse mes paupières se fermer. Immédiatement, le visage vaincu d'Ethan se mêle aux mots humiliants de mes parents et je dois rassembler toutes les maigres forces qu'il me reste pour réprimer la nausée qui me submerge. Je rouvre les yeux brutalement, dans l'espoir de stopper cette attaque que mon cerveau dirige une nouvelle fois contre moi mais les paroles de ma mère résonnent sans relâche au plus profond de moi. Les yeux rivés à la route qui défile en face de moi, je revis inlassablement tous les moments douloureux qui m'ont détruite petit à petit pour faire de moi la fille brisée et seule que je suis devenue.

Le concours de danse auquel j'ai participé à mes huit ans... j'étais arrivée seconde du classement et ma mère ne m'a pas adressé la parole pendant cinq jours. Le jour où elle a décidé de briser ce silence, elle s'est agenouillée à ma hauteur et m'a simplement expliqué à quel point je la décevais.

Lors de mon onzième anniversaire, mes parents ont accepté que j'invite pour la première fois tous mes copains à mon goûter d'anniversaire. Nous avons joué à « chat » dans le salon et malencontreusement, j'ai fait tomber l'ordinateur professionnel de mon père. Quand il est rentré le soir et qu'il a découvert qu'il était cassé, il m'a enfermée dans ma chambre sans diner et je l'ai entendu marmonner « je n'aurais jamais dû accepter cette gamine » en refermant la porte.

Durant toute mon année de terminale au lycée, j'ai tenu tête à ma mère qui voulait que je poursuive des études de médecine. Au moment de remplir les formulaires d'admission post-bac, mon cœur tambourinait si fort que j'ai cru que j'allais tourner de l'œil mais mon père a convaincu ma mère de faire un compromis en me destinant à des études de commerce international. Cette petite victoire a très rapidement eu un goût amer lorsque j'ai surpris une de leurs discussions dans laquelle mon père expliquait à ma mère que je n'étais pas douée pour grand-chose et qu'il fallait qu'elle accepte enfin que je la décevrai toute ma vie.

Tandis que les souvenirs douloureux s'enchainent, le regard inquiet de mon compagnon de voyage me sort de mes pensées. Je tourne la tête vers lui et n'essaie même pas de sourire. Pourquoi lui faire croire que je suis capable de sourire alors qu'il m'a ramassé à la petite cuillère au bord d'une route déserte en pleine nuit le soir de Noël ? Je reste alors plusieurs minutes à le contempler. Il est le seul que je pouvais appeler, je n'avais personne d'autre. Il fallait à tout prix que quelqu'un me sorte de mon enfer avant que je ne dépérisse. Malgré l'attachement profond qu'il voue à ses parents et l'importance qu'un tel jour doit avoir dans sa famille, il n'a pas hésité une minute avant de voler à mon secours. Je n'ai rien eu à dire, rien eu à expliquer. Il a compris tout seul et il est venu. Je n'en attendais pas plus mais maintenant que nous quittons Paris et qu'il s'engage sur l'autoroute en direction du sud, je me rends compte qu'il va faire bien plus pour moi.

De silencieuses larmes de reconnaissance coulent sur mon visage et lorsqu'il les remarque, Gabriel ne peut s'empêcher de froncer les sourcils. Il ne m'a posé aucune question, il a eu le tact de ne pas me bousculer mais je présume que toutes ses interrogations à mon égard lui brûlent les lèvres. Après avoir enclenché la cinquième, il déplace sa main autrefois posée sur le pommeau de vitesse pour la positionner délicatement sur la mienne. Sa paume est chaude mais elle ne m'apporte aucun réconfort. Je reste immobile, sans réagir. Je suis comme anesthésiée. Je ne ressens ni le froid qui me glace jusqu'à l'os, ni la faim qui me tiraille depuis de nombreuses heures, ni la chaleur qu'il tente de m'insuffler par son geste doucereux. Tout mon être n'est plus que douleur et souffrance. Chaque cellule de mon corps pleure, mon cœur saigne et mon âme ne vaut plus rien.

Malgré nous (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant