Vendredi 7 juillet
Ce matin, pour la première fois depuis l'accident, j'ai écouté de la musique. Je ne sais pas trop pourquoi mais j'en ai ressenti l'envie. Je crois qu'il était temps de briser le silence apaisant qui règne ici. Pensive, j'ai parcouru la playlist de l'Ipod que Gabriel m'a apporté puis au bout d'un moment, j'ai cliqué sur play. Quand les premières notes de Magic ont résonné dans ma chambre, j'ai fermé les yeux et j'ai frissonné. J'ai inspiré profondément pour que chaque note vibre au plus profond de mon corps puis j'ai calqué mes respirations sur le tempo de la musique. Les quatre minutes quarante-cinq sont passées si vite que j'ai réenclenché la chanson dès qu'elle a pris fin et cette fois, j'ai laissé ma tête valser en douceur et mes lèvres murmurer les paroles en silence. J'étais si bien qu'un immense sourire m'a accompagnée jusqu'à la fin de la chanson.
Je pose mon stylo au milieu de mon petit carnet puis je remonte le plaid que Cassiopée m'a offert sur mes genoux. Mon regard se décolle des mots que je viens d'écrire pour se poser au loin, à travers la baie vitrée qui me fait face. Aujourd'hui, il fait beau. Un soleil radieux brille de mille feux dans le ciel d'un bleu magique. Dans le parc qui borde la résidence, les arbres touffus de magnifiques feuilles vertes trônent au milieu de parterres de fleurs aux couleurs éclatantes. L'espace d'un instant, je m'imagine allongée au milieu de la pelouse, à passer mes mains dans l'herbe verdoyante et à profiter de cette sensation qui me manque. Celle de sentir les brins d'herbe chatouiller mes doigts, de savourer les rayons du soleil qui lèchent ma peau, de respirer enfin à plein poumon un air pur et frais.
Mes doigts se resserrent sur la couverture pendant que mes yeux se posent sur le calendrier qui surplombe le petit bureau qui fait face à mon lit. Aujourd'hui, c'est le jour J. Une monstrueuse angoisse irradie dans tout mon corps. Je secoue rapidement la tête pour repousser toutes ces pensées et je rouvre mon carnet. Une quinzaine de pages sont déjà noircies de mots que je n'arrive pas à relire. Quand la psychologue m'a proposé de coucher sur le papier toutes les pensées qui polluaient mon esprit, j'étais sceptique. Je ne me suis jamais amusée à griffonner mais lorsque j'en ai parlé à Cassiopée, elle s'est empressée de m'offrir le plus joli petit carnet que je n'ai jamais vu. Sa couverture est verte, ornée de feuillages et de silhouettes d'animaux dorés. Je l'ai observé pendant plusieurs jours avant de laisser courir l'encre sur la première page. Je n'étais pas sûre de ce que j'avais à dire, je ne savais pas si ressasser toute ma souffrance allait me libérer mais le jour où la pointe de mon stylo a touché le papier, j'ai compris. Si je ne suis pas capable d'exprimer mes maux, je peux au moins m'en affranchir en les écrivant. Depuis ce jour, j'arrive même à évoquer brièvement certains souvenirs cuisants lors de mes séances de thérapie.
J'étais prostrée dans mon gouffre noir depuis cinq jours lorsque que j'ai rencontré la psychologue pour la première fois. Je venais de me réveiller après toutes les opérations que j'ai dû subir en arrivant à l'hôpital et je n'avais pas prononcé le moindre mot. L'équipe médicale me demandait régulièrement de leur décliner mon identité, de les informer d'une personne à prévenir de ma présence ici mais je m'enfonçais dans des sables mouvants asphyxiants, m'empêchant de sortir de l'état de choc dans lequel j'étais plongée. Ce n'est que le troisième jour après mon réveil que j'ai compris que j'avais quitté mon appartement sans mon sac à main et que tout le corps médical à mes côtés n'avait aucune idée de qui j'étais. Mais au lieu de paniquer, j'ai saisi l'occasion qui m'était donnée de repartir à zéro. Je suis donc restée à l'hôpital pendant huit jours. Huit jours pendant lesquels j'ai préféré me satisfaire du silence angoissant que je m'imposais plutôt que de retrouver tous ces mots qui m'ont détruite. Huit jours sans voir personne d'autre que les infirmières et les médecins qui se relayaient auprès de moi. Huit jours à profiter de ce calme tant espéré. J'ai laissé la psychologue m'approcher et je l'ai écoutée me parler de mon état sans lui répondre. Petit à petit, elle m'a apprivoisée sans me brusquer. Le jour de ma sortie, le médecin m'a expliqué que j'étais transférée dans un centre de repos à une centaine de kilomètres de là. J'ai alors brisé mon mutisme pour demander à la psychologue de continuer à me rendre visite là-bas. Je crois que c'est à cet instant précis que j'ai compris. Je n'ai plus envie de faire semblant de ne pas avoir besoin d'aide. J'ai besoin d'aide et j'ai envie que ce soit elle qui m'aide.
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Malgré nous (Terminé)
RomanceCandice, jeune femme réservée et plutôt classique en apparence, mène une vie simple et monotone. Lorsqu'elle trouve un nouveau travail, elle rencontre simultanément deux hommes qui vont chacun à leur manière bouleverser son quotidien. Entre l'excit...