Chapitre 26 - I'm only human after all

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Samedi 28 janvier

Je me tiens debout devant la petite église située en retrait de ce village que je ne connais absolument pas. Le chauffeur de taxi a roulé environ 25 minutes après être sorti de la capitale anglaise et le paysage gris défiguré par la pluie qui a défilé sous mes yeux ne m'a pas aidé à me détendre. Je n'ai pas prévenu Ethan de mon arrivée, je ne parvenais pas à le joindre et je crois que j'avais secrètement peur qu'il me rejette.

Quand Ethan m'a confié à demi-mot sa peine mercredi soir, j'ai immédiatement compris qu'il venait de perdre son père. Ses secrets, sa souffrance silencieuse, ses confidences soufflées du bout des lèvres comme s'il avait viscéralement besoin d'exorciser ses souvenirs, ses absences, ses voyages... tout prenait enfin sens. J'ai senti mon cœur se déchirer quand j'ai réalisé qu'il venait de perdre le seul parent dont il ne m'avait jamais parlé et par-dessus tout, qu'il semblait ne pas savoir comment gérer cette perte.

Je l'ai enlacé aussi fort que j'ai pu, je l'ai cajolé très longtemps mais Ethan s'est rapidement enfermé dans un mutisme effrayant. Il a fini par ensevelir ses tourments au plus profond de lui et s'est transformé en statue de pierre pour ne plus souffrir. Tel un automate, il m'a laissée l'emmener chez moi puis m'a laissée le serrer contre mon cœur toute la nuit sans bouger ni prononcer le moindre mot. J'avais la perfide sensation de tenir dans mes bras un corps sans vie. Nous avons fini par nous assoupir dans mon canapé et quand j'ai ouvert les yeux au petit matin, un froid polaire s'est abattu sur moi.

J'étais seule. Ethan était parti et je n'avais aucune idée de l'endroit où il se trouvait. J'ai essayé de l'appeler, en vain. Je l'ai attendu jusque tard le soir au bureau mais il n'est jamais venu. Quand j'ai regagné mon appartement dans la nuit noire, j'ai cherché pendant des heures un moyen de le contacter. Je ne sais pas comment je réagirais si j'étais à sa place et c'est bien pour cette raison que je ne le jugerai jamais. S'il lui faut du temps, de l'espace ou de la solitude, alors je les lui accorderai. Mais j'ai d'abord voulu m'assurer que c'est ce dont il avait réellement besoin. Parce que mon intuition me disait qu'il était en train de se noyer et que quelqu'un devait lui venir en aide. Vite.

J'ai désespérément essayé de me remémorer les moments que nous avons passés ensemble ainsi que ses confidences pour dénicher le moindre indice quand l'évidence m'a frappée de plein fouet. Murphy. Il était le seul ami de son père et il tient une place particulière dans le cœur d'Ethan. J'ai déniché son numéro de téléphone sur internet et au bout de quelques minutes, il a consenti à me donner l'adresse de l'église devant laquelle je me tiens. Je ne me rappelle pas vraiment des dernières vingt-quatre heures mais tout ce que je sais, c'est que mon cœur m'a conduit exactement là où est ma place.

Un couple âgé me dépasse et s'engouffre rapidement dans le bâtiment en pierres vieillies tout en se protégeant de la pluie. Je sors de ma contemplation et leur emboite le pas, le cœur serré. Quand je pénètre dans cet antre religieux, le silence assourdissant me frappe de plein fouet. L'ambiance est pesante, seules quelques personnes sont éparpillées çà et là et mon regard inquiet ne parvient pas à trouver Ethan. Quelques grands bougeoirs installés au cœur des hautes voutes apportent un semblant de lumière et se reflètent sur les vitraux ternis que j'observe derrière l'autel. Je m'installe discrètement sur un vieux banc en bois près de la sortie et j'attends fébrilement qu'Ethan fasse son apparition.

Il n'y a pratiquement aucune luminosité et la grisaille extérieure se reflète aisément à l'intérieur de l'église, amplifiant ainsi la morosité qui se dégage d'un tel évènement. Après d'interminables minutes, un prêtre s'installe derrière l'autel et une musique solennelle retentit. Les rares personnes présentes se tournent immédiatement vers les grandes portes en bois et observent le cercueil qui s'avance dans l'allée. Une profonde angoisse me noue l'estomac lorsque mes prunelles émeraude se posent sur le visage terne et fermé d'Ethan qui suit son défunt père. Il porte un costume noir boutonné sur une chemise de la même couleur et malgré les circonstances accablantes, je ne peux pas m'empêcher de le trouver fort. Il se tient droit, ses larges épaules sont dégagées et ses mains ont trouvé refuge dans ses poches. Son regard sombre est fixé sur le cercueil qui le nargue sournoisement et je crois sincèrement qu'il ne distingue rien d'autre.

Malgré nous (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant