Chapitre 37 - No roots

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Samedi 1er avril

Le bruit épouvantable du poids lourd qui klaxonne en me dépassant me sort de ma rêverie. Je sursaute et grommelle au volant de ma voiture en voyant le conducteur me faire de grands signes d'agacement avec ses mains. Il se rabat plusieurs mètres devant moi mais je ne comprends vraiment son message que lorsque je jette un regard blasé à mon tableau de bord. Je suis sur l'autoroute et je ne roule qu'à... 70 km/h ! Dans d'autres circonstances, je trouverais mon comportement ridicule et je me serais excusée mais pas aujourd'hui. Monsieur le conducteur du camion, si tu savais ce qui m'attend au bout de la route, tu me laisserais conduire comme un escargot ! Une flopée d'autres véhicules se met sur la voie de gauche pour me doubler mais j'ignore royalement les regards assassins de tous ces conducteurs que je dérange. L'horloge numérique m'informe qu'il ne me reste plus que vingt minutes avant de plonger la tête la première en enfer et je soupire, abattue.

Quand j'ai accepté de participer au repas organisé en l'honneur de mes grands-parents paternels, je savais que c'était une mauvaise idée mais je pensais bêtement que j'aurais la force de me battre aujourd'hui. Cependant, j'ai présumé de mes forces et si le moindre effort me fatigue déjà depuis quelques temps, ma violente confrontation avec Cassiopée hier m'a vidée de toute envie. Néanmoins, je ne vais pas avoir le choix. Dans quelques minutes, je vais me retrouver en face de mes parents pour la première fois depuis que mon père a fait irruption chez moi comme un forcené. J'en frissonne déjà. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, j'ai essayé d'anticiper ses paroles, ses gestes et de préparer mes ripostes mais je suis tout à fait consciente qu'une fois en face de lui, mon plan sera mis en difficulté.

En revanche, s'il y a bien une chose qui a changé depuis la dernière fois où j'ai été confrontée à lui, c'est ma faiblesse. Je ne prétends pas être devenue la fille la plus forte que la terre n'ait jamais porté mais je sens au plus profond de moi que quelque chose a évolué. Je n'accepte plus qu'on m'écrase et qu'on me broie. Je sais pertinemment que mes parents vont agir comme ils l'ont toujours fait mais je refuse de rentrer dans leur cercle vicieux. Il est temps qu'ils prennent conscience que leur fille n'est pas un punching-ball. La seule chose qui me fait peur, c'est que les mots meurent dans ma gorge et que je ne réussisse pas à leur tenir tête sans m'enfuir lâchement.

Quand une berline noire semblable à celle d'Ethan me dépasse, mon cœur se serre légèrement. Je repense immédiatement à la déception qui s'est accrochée à tous les pores de ma peau hier soir. Il m'a rejoint chez moi après sa longue journée de travail et j'étais si heureuse de le retrouver enfin que j'ai naïvement cru qu'il allait passer la soirée et la nuit à mes côtés. Mais son regard fuyant et son attitude tendue ont tout de suite mis fin à mes espoirs. Il m'a rapidement expliqué ne pas pouvoir rester très longtemps et être venu me prévenir qu'il ne serait pas joignable du weekend. Une profonde angoisse s'est emparée de moi quand j'ai compris à demi-mots que sa vie conjugale allait encore une fois le tenir éloigné. Il m'a promis qu'il était en train de se dégager de toutes ses responsabilités mais je suis las d'attendre et d'espérer pour continuellement tomber de toujours plus haut. Ethan a sans doute dû sentir mon abattement prendre trop d'espace entre nous puisqu'il s'est empressé de me blottir contre son torse mais cela n'a pas suffi. Entre ses bras, je ne pouvais penser qu'à son absence et à sa désertion.

Je me suis fait violence pour ne pas envenimer notre situation. J'ai accepté de lui accorder du temps pour qu'il puisse se libérer de ses chaines mais les heures passent, les jours passent et le doute s'installe. Rien ne change. Et si Ethan était en train de me mener en bateau ? J'ai rapidement secoué la tête pour chasser ces idées noires déjà bien trop ancrées dans mon esprit quand mon homme a posé ses deux grandes mains sur mes joues. Son regard limpide a happé le mien et j'ai immédiatement lu toutes les questions qui le taraudaient. Mon sourire faux ne l'a pas berné tout comme l'appréhension qui maintenait mes épaules crispées lui a fait comprendre que je ne lui disais pas tout. Délicatement, il a attrapé ma main, a entrelacé nos doigts et je n'ai pas su retenir les quelques battements affolés de mon cœur déjà galvanisé par toutes ces petites marques d'affection. Sans jamais lâcher ma main, il m'a demandé dans un murmure de lui expliquer ce qui me ronge. Je revois encore ses sourcils froncés par l'inquiétude et le pli soucieux qui gâchait son front.

Malgré nous (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant