Chapitre 39 - I can see that you're giving up

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Lundi 3 avril

Je ne m'étais jamais rendue compte à quel point une seconde peut durer une éternité. Quand on est heureux et insouciant, on les laisse filer sans réfléchir, profitant du moment présent avec légèreté. Quand on est enfermé dans une chambre d'hôpital, chaque minute qui passe paraît plus longue que la précédente. Je pourrais lire un magazine, allumer la télévision ou écouter de la musique mais quelque chose m'en empêche. Mon cerveau, je crois. Ce traitre. Ce vendu. Il m'oblige à ressasser les évènements précédents et je n'arrive pas à repousser ces souvenirs désagréables.

Aux alentours de 10h environ, une femme d'une cinquantaine d'années aux cheveux bruns, ternes et mal coiffés est entrée dans ma chambre. J'ai tout de suite repéré l'inscription sur son badge : « psychologue clinicienne ». Je crois qu'elle s'est présentée mais je ne l'ai pas écoutée. Je ne voulais pas entrer dans son jeu hypocrite. Je regardais seulement ses lèvres fines et pâles bouger, créer des sons censés m'apprivoiser en luttant contre son stratagème. Elle s'est ensuite installée sur un fauteuil à côté de moi et a attendu. De longues minutes. D'interminables minutes. Je la fixais et j'attendais moi aussi. Je n'avais aucune intention de briser le silence qu'elle avait instauré, patientant probablement jusqu'à ce que je daigne coopérer. Mais elle se fourrait le doigt dans l'œil ! Je n'ai pas coopéré. C'est elle qui s'est invitée dans ma chambre, c'est elle qui a décidé que me faire parler de choses intimes allait m'aider. Qu'elle se débrouille maintenant !

Après plus de trente minutes d'un silence de plomb, elle a fini par faire résonner quelques mots contre les murs aseptisés de cette chambre. Elle m'a demandé si je savais pourquoi elle était là et j'ai immédiatement eu envie de lever les yeux au ciel face à son ton condescendant. Bon, peut-être qu'objectivement il n'était pas condescendant mais j'avais l'impression qu'elle me traitait comme une gamine.

-Le médecin que j'ai vu hier vous a demandé de me faire parler de mon comportement alimentaire. Mais je n'en ai pas envie.

-De quoi avez-vous envie de parler alors ?

-Avec vous ? De rien. Ne vous vexez pas mais je n'ai pas l'habitude de me confier à des inconnus. A personne en fait.

Elle s'est légèrement penchée vers moi quand j'ai prononcé ces derniers mots puis elle a capté mon regard fuyant.

-Il est peut-être temps d'essayer alors. Avec moi, vous pouvez tout dire. Je suis là pour entendre tout ce que vous n'avouerez jamais à personne, même à vous-même. Je vous offre un espace hors du temps où vous pouvez être vous même. Réfléchissez-y.

Je suis restée immobile, ressassant ses mots plus que je ne le voulais vraiment. Quand elle s'est levée, je n'ai pas pu m'empêcher de lui murmurer :

-Vous croyez qu'on peut vivre sans savoir réellement d'où on vient ?

Elle s'est alors doucement retournée et m'a sondée du regard.

-Je ne connais pas votre parcours mais je peux vous assurer que vous ne pouvez pas être pleinement heureuse quand des doutes commencent à s'immiscer dans votre histoire.

Elle a attendu que je lui réponde, sans doute que je me confie à elle mais je n'ai pas réussi. Je n'avais pas envie d'être là, je n'avais pas envie qu'elle soit là et je n'étais pas encore prête à faire voler en éclat mon armure. Elle m'a alors laissé ses coordonnées et m'a demandé de la contacter quand je serai prête. Depuis, je n'ai pas bougé d'un centimètre, scrutant nerveusement la petite carte cartonnée avec son nom et son numéro de téléphone. Je ne sais pas réellement pourquoi j'ai réagi ainsi, mon attitude ne me ressemblait pas du tout, moi qui suis habituellement si docile. Je crois en réalité que je me suis sentie menacée. Comme si en lui parlant, j'allais détruire le mur de pierre que j'ai construit pour me protéger et qu'il ne resterait plus que... moi. Une version nue, vulnérable, faible et perdue de moi. Et cette idée me terrifie. Parce que je ne suis plus vraiment grand chose en ce moment.

Malgré nous (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant