# IV. Un regard que je n'oublierai jamais
Une semaine après mon anniversaire, j'ai repris ma vie comme c'était prévu. Yann m'a presque engueulé de ne pas avoir essayé de changer pour cette nouvelle année. Je ne peux pas lui en vouloir, il me connaît depuis mon arrivée en France. Je suis né en Hongrie et y ai vécu jusqu'à mes dix ans. Mes parents sont hongrois – moi aussi évidemment – et ils ont été obligés de quitter notre pays à cause de leur travail. Quand je suis arrivé en France, j'étais complètement perdu. En à peine un mois, j'ai dû apprendre les bases de la langue française – qui est vraiment une langue difficile quand on n'y connait rien. Quand je suis entré en 6ème, Yann a été le seul à être venu me voir. Il était dans ma classe et on passait nos journées ensemble. Il m'apprenait le français et je ne pourrais jamais le remercier pour tout ce qu'il a fait pour moi. Encore aujourd'hui, il continue de prendre soin de moi comme si j'avais onze ans. Il ne se rend pas compte que je suis devenu beaucoup plus mature. Mais je pense que tout ce qui m'est arrivé l'empêche d'être serein. C'est mon meilleur ami et je ne voudrais le changer pour rien au monde.
Quand j'ai enfin eu ma première fois avec un mec, je lui ai dit et il m'a posé un milliard de question sur ce que j'avais fait ou non – il a toujours eu peur que j'oublie le préservatif. Une fois, il m'a presque fait un cours sur les risques des rapports non protégés. J'avais l'impression d'entendre un père qui peut expliquer à son fils comment enfiler un préservatif – le mien ne m'aurait jamais parlé de ça. J'avais à peine seize ans et il était déjà comme il est maintenant. En cinq ans, il n'a pas changé d'un poil. Depuis ce jour-là, j'essaie de lui cacher au plus mes relations sexuelles mais il sait que tous les soirs – ou presque – il y a quelqu'un dans mon lit. Il serait capable de m'enfermer dans une pièce pour m'empêcher de sortir. Tant que rien ne vient perturber ma petite vie, j'irais bien. Un coup de vent me ferait tomber de ce fil si étroit que j'essaie de stabiliser.
Enfin bref, aujourd'hui tout va bien dans le meilleur de monde. Yann est venu chez moi, j'ai avalé trois médicaments – j'en avais réellement besoin – et je suis allé en cours. Parfait tout ça, rien qui cloche à l'horizon. Je me demande si le médecin qui m'a donné ces médicaments savaient réellement ce qu'il faisait. Il a seulement vu ma détresse après ma rupture et il a décidé de me les donner. Je ne peux plus m'en passer. J'espère que Yann ne les verra jamais sinon je donne pas cher de ma peau. Il me tuera immédiatement. Je me détruis sous ses yeux et il s'en voudra de ne pas l'avoir vu. Je ne veux pas lui infliger ça en plus de mon existence. Je fais semblant, comme toujours. Il est presque l'heure que je prenne mon service. Je suis surexcité à l'idée d'aller au bar.
J'ai rangé mon appartement depuis la dernière fois. Je n'allais quand même pas dormir dans des draps crades et souillés par le corps d'inconnus. Encore, si cela n'avait été que moi, d'une, j'en aurais mis beaucoup moins et de deux, ça m'aurait beaucoup moins dérangé. J'ai passé une bonne journée à tout nettoyer. Il faut dire que moi et le ménage, c'est très compliqué. Je me dis toujours « on verra plus tard » mais une petite voix me dit « Nettoie, nettoie, nettoie ». Je lui obéis pour la faire taire. Non je ne suis pas schizophrène.
Mon appartement n'est pas grand et j'ai peu d'affaire. Je ne me suis jamais attardé sur la décoration. Les murs sont tous plus ou moins blancs. Disons que quand je l'ai acheté, il y avait déjà des endroits où la peinture avait disparu. Je n'ai rien changé. Par contre, j'ai un parquet magnifique sur lequel je n'oserais jamais mettre un tapis – oups, la dernière fois je l'ai sali en faisant tomber ma cigarette, erreur d'inattention. Un seul mur de mon appartement m'appartient réellement. Celui à gauche de mon lit. Il est recouvert de plusieurs photos que j'ai prises depuis que j'arrive à tenir un appareil photo dans mes mains. On peut voir plusieurs choses comme : Paris avec vue sur les toits, Yann, moi parfois, la pluie, mon ex-petit-copain, mes parents aussi etc. Il y a tellement de choses que je ne pourrais pas en faire une liste. Certaines représentent des nus, mais toujours de dos – je ne veux pas choquer les prudes qui entreraient chez moi. Je pense qu'une photo d'une personne nue révèle beaucoup plus de choses. On n'a pas la barrière du vêtement que l'on porte et qui nous cache. On est nous-même.
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La colère n'est pas rouge [boyxboy]
RomanceLa colère cache souvent la douleur. András est souvent en colère mais souffre, sans que personne ne puisse faire quoique ce soit pour lui.