12 octobre

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J'ai à peine dormi, cette nuit. J'ai torturé ma mémoire pour retrouver un semblant de souvenir. J'ai lu et relu mes comptes rendus, mes notes... Je suis stressée à l'idée que quelque chose soit arrivé par ma faute. D'ailleurs, je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé. J'espère en apprendre plus aujourd'hui.

On frappe à la porte. Enfin mon petit-déj ! J'ai une de ces faims... Je m'installe au milieu de mes feuilles, étalées par terre. J'ai essayé de tout trier. Je n'ai pas le droit de continuer mes expériences, mais je peux faire de la bibliographie. Je travaille depuis longtemps, j'en ai oublié ma fatigue et mon mal de tête ; je suis dans mon élément et ça me permet de me changer les idées.

La porte s'ouvre. Encore. Lorsque je relève la tête, je vois l'autre marquer un temps d'arrêt et me dévisager à travers sa combi NBC.

– Quoi ? dis-je, un peu agressive.

– Bonjour madame Faussette, me répond-t-il.

Madame ? J'ai l'air si vieille que ça ? Il est français. Ou francophone. C'est le premier depuis que je suis arrivée aux Pays-Bas qui prononce bien mon nom. Il s'avance vers moi. Je ne me lève pas ; il ne peut pas me serrer la main, de toute façon.

– Je suis l'inspecteur Van Hecke. J'enquête sur la dispersion du virus dans l'Université. Nous avons de bonnes raisons de penser que vous avez volontairement provoqué...

– La dispersion d'un virus ?

Un frisson me parcourt le dos.

– Oui, nous voulions savoir...

– Quel virus ? Un filovirus ? Une autre espèce de mononegavirale ? Un méningocoque ? Ebola ?

Je me suis levée. Je lui débite tous les noms des virus sur lesquels on travaillait ici. Je le prends par les bras et le secoue comme un poirier en espérant que la réponse tombe. On travaillait sur des virus qui n'étaient pas mortel pour l'Homme. Je prie pour que le virus dispersé soit de ceux-là.

– Calmez-vous ! s'énerve-t-il, révélant un petit accent.

– S'il vous plaît, dites-moi que ce n'est pas Ebola !

Il me bloque les bras.

– Calmez-vous ! me crie-t-il. On ne sait pas quel est ce virus ! Les analyses sont en cours. Calmez-vous maintenant !

Je réalise combien je me suis emportée. J'ai vraiment besoin de sommeil. Deux nuits que je n'ai pas fermé l'œil. Je me rassois par terre. L'inspecteur s'éloigne un peu et soupire.

– Je vais vous chercher un café. Asseyez-vous et calmez-vous.

Il revient quelques instants après, avec un café venu tout droit du distributeur du hall. Il m'a pris un corsé, aussi noir que mon humeur, aussi serré que mes lèvres. Il s'installe sur une chaise, en dehors de mon cercle de feuille. Je suis en tailleur, au milieu de ma paperasse. J'approche mes lèvres du café, sans jamais le toucher. Je hume les senteurs, je sens la chaleur de la boisson sur ma bouche et mes doigts.

Je reprends mes esprits. Petit à petit.

L'autre me regarde, il attend que je rouvre les yeux. Je le fais poiroter. J'aime voir si les gens sont patients ou pas, ça me permet de savoir s'ils veulent vraiment quelque chose rapidement ou si leur devise est « tout vient à point à qui sait attendre ». Lui, il n'a pas l'air pressé. Tant mieux, moi non plus.

– Je peux vous poser quelques questions ? demande-t-il lorsque je le regarde enfin.

Je hoche la tête et pose ma tasse de café à terre. Il n'est qu'à quelques mètres de moi, mais les feuilles semblent rajouter de la distance entre lui et moi.

– Qu'est-ce que vous faisiez dans le laboratoire, il y a trois jours ?

– Je travaillais sur un des virus que l'on étudie actuellement, dans le cadre de recherches pour de nouveaux traitements.

– Sur quel virus faisiez-vous vos recherches, ce soir-là, exactement ?

– Un filovirus, proche d'Ebola.

– Et jusqu'à quand êtes-vous restée dans le laboratoire ?

Il fallait que cette question arrive. Il fallait qu'il aille jusqu'à la période où je n'ai plus aucun souvenir. Qu'est-ce que je fais ? Je lui mens ? Je lui dis la vérité ? Je fais semblant d'ignorer la question ? Je me mords la langue. Ça m'aide toujours à prendre la bonne décision.

– Madame Faussette ?

Ma langue me fait mal. Il faut que je lui réponde maintenant.

– Je n'ai aucun souvenir de ma soirée. Je me rappelle avoir commencé à écrire ma note vers 19 heures 30 et puis plus rien. Désolée.

– Aucun souvenir ?

Il n'a pas compris ? Pas entendu ? Ou pas écouté ? Je lui répète que non, je n'ai pas de souvenir de ma soirée. Cette fois, il hoche un peu la tête. Il reste silencieux quelques instants. J'ai l'impression qu'il me dévisage derrière sa combinaison. Qu'est-ce qu'il veut au juste ? Me faire peur pour que je lui dise ce qu'il veut entendre ? Désolée, mais ton regard ne m'impressionne pas, encore moins derrière ta vitre.

– Merci, madame Faussette. Je reviendrai peut-être vous poser d'autres questions plus tard.

Il se lève et s'en va. J'ai l'impression qu'il croit avoir compris quelque chose sur moi. J'espère que ce n'est rien qui lui permette d'affirmer que je suis une « terroriste » comme ils aiment bien m'appeler maintenant. 


U4 - CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant