18 novembre

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Je suis assise, la tête contre la fenêtre. Mon souffle fait de la buée sur la vitre. J'ai encore des insomnies, mais la plupart des autres effets ont disparu. Je crois. Maxime, Hakim et Christophe sont partis chercher de quoi manger et de la morphine. J'ai fini toutes les boites qu'ils avaient réussi à trouver la dernière fois. Même si j'arrive à en prendre moins, je n'arriverai pas à tenir sans en prendre jusqu'à la fin de la journée.

Mickaël frappe à la porte, qui est ouverte.

– Je te dérange ?

– Non, non.

Il vient s'asseoir à côté de moi sur le banc.

– Comment tu vas ?

Je hausse les épaules. J'en sais trop rien. Il esquisse un petit sourire.

– T'as une meilleure tête qu'il y a quelques jours en tout cas. Tu fais encore des insomnies ?

– Oui.

– Ça va passer dans deux ou trois jours. Je sais ce que je dis, ma sœur a pris plusieurs fois des doses... Importantes diront-nous.

– Tu as une sœur ?

– Ouais, on peut dire ça. Elle s'est barrée de la maison il y a quelques mois et avec l'épidémie, je ne sais pas si je la reverrai. Et je vais t'avouer que si je la revois, on va devoir s'expliquer. Et toi, tu as de la famille ?

– J'ai mes parents. Enfin, j'avais.

– Ils sont morts, eux aussi ?

– J'en sais rien. Ils habitent à la Rochelle et... Ça fait quelques années que je me suis barré de la maison. Et si je les revois, il va falloir que je leur explique...

Il sourit.

– Pourquoi t'es partie ?

Je me décolle de la fenêtre.

– J'ai eu quelques problèmes à l'école. Et ma mère ne comprenait pas vraiment ce que je faisais lorsque je séchais les cours.

– Et qu'est-ce que tu faisais ?

– J'allais assister aux conférences scientifiques, ou je retrouvais mes amis à l'université.

– Tu étais en quelle classe ?

– J'ai commencé à faire ça quand j'étais en quatrième et je l'ai fait jusqu'à mes seize ans.

– Tu as arrêté après ?

Je me mets à rire.

– Non je suis partie de chez moi !

– Tu es partie à seize ans de chez toi ? Mais c'est permis de faire ça ?

– Non ! Mais j'ai réussi à trouver comment faire pour... Passer entre les mailles du filet.

Il sourit un peu, complètement effaré.

– Et t'es allé où ?

– Pas très loin, entre Monnaie, Necker et le quartier de la Gare.

– Tu es partie de La Rochelle pour venir à Paris ? Mais tu es folle en fait !

– Oui, je crois !

Il se met à rire, moi aussi. On entend la porte du rez-de-chaussée qui s'ouvre.

– Tiens, ça doit être les garçons.

– On va les voir ? me propose Mickaël.

Je hoche la tête. On descend. Ils ont des mines défaites.

– Ça va pas ?

Les autres ne répondent pas. Maxime sort une petite boite de sa poche.

– C'est tout ce que j'ai pu trouver.

Je lui souris. Il a trouvé de quoi remplacer la morphine, et même si c'est un produit moins puissant, il a trouvé.

– Merci.

– Vous avez ramené quoi ? s'enquit Mickaël.

Les garçons ouvrent leurs sacs. Ils ont trouvé quelques soupes déshydratés, du riz, des pâtes, des céréales et du lait en poudre. On a de quoi tenir encore plusieurs jours. Par contre, il va falloir qu'on fasse quelque chose pour l'eau.

On les aide à remonter tout ça. On s'installe en haut et on range un peu. Je me demande comment les garçons peuvent dormir à trois ici. Entre le réchaud, le groupe électrogène et le radiateur, ils n'ont pas beaucoup de place. Ils sont vraiment adorables de nous laisser une salle entière pour nous deux. On installe les coussins et on s'assoit tous les cinq. Hakim a le visage fermé.

– Ça va pas ?

Je lui demande ça doucement. Le silence est tellement pesant qu'il est difficile de le briser. Le garçon lève ses yeux noirs vers moi.

– Les militaires sont de plus en plus présents dans le quartier. J'ai l'impression qu'ils ont eu des renseignements.

– Vous les avez croisé c'est ça ?

J'ai peur de la réponse. Mickaël me regarde, comme s'il avait attendu que je pose la question.

– Ouais, bougonne Christophe. Enfin, ils ont envoyés des drones. Ils cherchent quelque chose, finit-il en me regardant.

Dans ses yeux, il y a une espèce de pitié. Et un peu de reproche. Ils nous regardent, tous les trois. Maxime et moi, on a les yeux baissés. Ils nous accueillent, ils nous offrent un toit, à manger et tout ce qu'on leur apporte, ce sont des problèmes.

– On va s'en aller, dit Maxime.

Il m'a prise de court ! C'était mon idée !

– Mais, Camille a...

– Non, il a raison.

Je les ai surpris. Ma voix est plus tranchante que je ne l'aurais voulu. Tant pis.

– On peut encore s'en aller. Ils ne nous ont pas encore trouvé, on peut peut-être encore sortir de Paris.

– Et vous irez où après ? me demande Mickaël.

Je les regarde tour à tour. Je sais où on peut aller. Mais j'ai peur d'y aller. Mickaël, Hakim et Christophe m'interrogent du regard.

– Il y a toujours... Chez... A La Rochelle.

Je ne pensais pas que j'aurais autant de mal à le dire. Je repense tout d'un coup à mes parents. Où est-ce qu'ils sont ? Est-ce qu'ils sont morts ? Est-ce que j'aurai le temps de m'excuser ? 

U4 - CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant