17 octobre

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Il est tôt. Le soleil n'est pas encore levé. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je prends l'ordinateur et me connecte sur Facebook. J'ai beaucoup de mes élèves ou anciens élèves en amis. Et quelques collègues. J'ai envoyé des messages à quelques personnes qui habitent dans la région, leur demandant de leurs nouvelles. Le virus est MORTEL. Ce mot raisonne en moi depuis des heures.

Il faut que je me ressaisisse. Je suis professeure en virologie, j'en ai vu d'autres, des « virus mortel ». Il y en a plein. Allez, cites-en. Ebola. VIH. A H5N1. Et encore. Je pourrais tous les citer. On peut mourir d'une infection bénigne et survivre aux pires maladies.

Je dois prendre une douche. Ça m'éclaircira les idées. Je retire la barre de métal, pousse la chaise et appuie sur la poignée. En ouvrant la porte, je vois mon énorme sac de plage, bourré d'affaires. Il y a un mot posé dessus.

« Je me suis dit que ça pourrait vous servir. Maxime Van Hecke »

Même s'il est allé chez moi fouillé dans mes affaires, je n'en veux pas à Van Hecke. Je ne sais pas, ça me fait du bien de me dire que quelqu'un a pensé à moi. Je souris, prends le sac et vais me laver.

Je suis prête bien avant 8 heures. J'ai changé de vêtement, attaché mes épais cheveux châtains en un chignon qui ne tient déjà plus et je me suis même brossé les dents ! Le grand luxe. Je retourne voir sur l'ordinateur si j'ai des réponses. Et il y en a !

Timtim Horten :

Moi ça va. Ma mère est malade. Une grosse grippe, je crois. De la fièvre et de la fatigue. Ça devrait passer. Mais des voisins âgés sont morts.

Super-Sam in Trecht :

Trop cool de m'avoir écrit, Camille ! Je vais bien. Mais aux infos, ils parlent d'une épidémie qui se propage dans tout le pays ! J'espère que ce n'est pas trop grave. Tu es encore à Uithof ?

BigBente Ghtf :

Mes parents sont à l'hôpital. Ma sœur et moi, on est à la maison. Pour l'instant ça va, mais on s'inquiète de ce qu'il se passe en ce moment. Tu es au courant ? Cette épidémie commence à faire des ravages dans la région ! Et toi, comment tu vas ?

Je prends le temps de répondre à mes élèves avant de regarder les infos. Je fais défiler les JT, les papiers de presse, les communiqués, les reportages... Je découvre ce qu'il se passe dehors. Ce n'est pas une grippe, comme le pense Tim. C'est une sorte de fièvre hémorragique très violente. Ça ne s'est pas encore propagé dans tout le pays comme le dit Sam, mais ça ne saurait tarder. Bente a raison, les morts s'accumulent déjà dans la région d'Utrecht. Les premières victimes étaient des personnes présentes dans l'Université : deux professeurs, un technicien de surface, une assistante de labo, trois élèves... Mais on en dénombre déjà une centaine à 20 kilomètres autour de la ville.

Je garde ma distance avec ce que je lis, ce que je vois. Reste professionnelle. Je prends un papier et je note mes observations. J'essaye de ne pas tirer de conclusions trop hâtives, mais je reste précise. Toutes les personnes mortes sont âgées d'au moins vingt ans. Ils meurent rapidement après les premiers symptômes, je dirai entre 24 et 48 heures. Les symptômes sont ceux d'une fièvre hémorragique : fièvre intense, vomissements, diarrhée... Mais ce qui m'interpelle, c'est le sang qui

coule de tous les pores de la peau, de chaque orifice du corps. Ces cadavres encore sanguinolents, cette agonie dans la douleur et ce liquide rouge...

Reste professionnelle. De la distance.

Je respire un grand coup. Il faut que j'arrête. Je ferme toutes les fenêtres du navigateur et j'éteins l'ordinateur. Je prends une pochette pour le transporter. Ça pourra servir, sait-on jamais.

On est arrivé à La Haye. Les militaires en combi NBC m'entourent toujours, serrés en rang d'oignons. J'ai pu prendre toutes mes affaires avec moi, mais elles sont emballées et ont de fortes chances pour passer par la case « décontamination ». J'y suis déjà passé trois fois.

La Cour pénale internationale est un grand bâtiment blanc, découpé et splendide sous le ciel encore bleuté de ce début d'automne. Je n'ai pas le temps de m'émerveiller. A peine arrivée que je me retrouve dans une salle, devant des gens avec leur petit bavoir tout blanc qui m'expliquent mes droits. Je ne comprends rien à ce qu'on me dit, bien qu'on m'explique tout en français.

Mais qu'est-ce que je fous là ?

Dans les couloirs, j'ai croisé Maxime Van Hecke. Je l'aurais bien remercié d'avoir pris mes affaires chez moi hier, mais on ne m'a pas laissé l'approcher. Tant pis. Une autre fois, peut-être.

U4 - CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant