22 octobre

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Je me suis résignée à aller travailler avec Sala. Je n'ai encore rien dit. On m'a promis que je serai tenue informée de l'avancée de l'enquête. Enfin, je n'attends pas grand-chose du tribunal...

Je suis penchée sur les dernières statistiques concernant les victimes. Ça commence à se préciser. La tranche d'âge des 14-18 ans semble épargnée. Du moins pour l'instant.

Je relève la tête. Van Hecke me jette des regards en coin de l'autre bout de la salle. J'ai mes écouteurs vissés dans les oreilles, je n'entends pas ce qu'il se passe autour de moi. La symphonie de Mahler couvre tous les bruits.

Je regarde de nouveau mon ordinateur en soupirant. Le nombre de victimes a dépassé la dizaine de millions. Et cela ne fait qu'une dizaine de jours. L'épidémie n'est plus considérée comme telle, mais comme pandémie. Le continent européen n'est pas encore touché dans son intégralité, mais tout va si vite...

Je ferme un peu les yeux et écoute les flûtes jouer. Et puis j'en ai marre, je change et je mets Fauve. Je connais presque toutes les paroles par cœur. Je commence à remuer en rythme de la musique.

Haut les cœurs ! Haut les cœurs ! Haut les cœurs ! Il faut se dire des belles choses qu'on gardera pour plus tard !

Je me mets à chantonner. Doucement, tout de même, je suis entourée de plein de monde. C'était des élèves français qui m'avaient fait découvrir Fauve...

Je n'ai qu'une envie : aller en France. La pandémie a déjà touché le nord, l'est et se propage maintenant vers l'Ile-de-France. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense soudain à mes parents. C'est ridicule, ce sont les dernières personnes auxquelles j'aurais pensé, en temps normal.

Je prends mon téléphone. Je m'installe dans le couloir, près de la fenêtre. Je n'aime pas la chambre qu'ils m'ont donnée : elle est petite, sombre et la fenêtre ne laisse même pas passer la lumière ; je passe le plus de temps possible en dehors de cette pièce. Je compose le numéro de mes parents, à La Rochelle et j'attends un peu. Ça sonne deux fois et on décroche.

– Allô ?

– Oui, c'est Camille. Je voulais vous...

– Camille ! s'exclame ma mère. Tiens donc... Mais dis-moi, tu es bien la dernière personne que je voulais entendre !

– Je sais maman, mais...

– Alors, dis-moi : tu veux nous dire que tu reviens ? Que tu as un homme ? Que tu es enceinte ?

– Mais non...

– Je te préviens, Camille ! Si tu nous ramène un gosse, tu te le gardes ! J'en eus assez de problèmes comme ça avec les gosses !

– Maman ! Il y a une épidémie qui se propage ! Il faut que vous restiez le plus possible dans la maison, que vous évitiez de voir trop de monde et que...

– Ah ! Maintenant tu veux diriger notre vie ? Tu sais, on s'en sort très bien sans toi ! On n'est pas impotent !

– Mais tu fais chier ! Ecoute-moi un peu !

– C'est toi qui fais chier ! C'est pas à toi de dire d'écouter ! Toi qui as jamais voulu écouter personne ! Tu veux que je te rappelle comment ça c'est fini la dernière fois que tu ne m'as pas écouté ?

– Recommence pas avec ça !

– Je recommence si j'en ai envie ! Tu sais quoi, je me fous de pourquoi tu m'appelles. Laisse-moi tranquille, d'accord ?

– Non, s'il te plaît ! C'est important !

Trop tard. Elle a raccroché. Je lâche quelques jurons pour me détendre – et pour éviter de balancer mon portable par terre. Ma mère remet toujours les mêmes choses sur la table, mais c'est toujours pour m'accuser d'être une mauvaise fille, de ne pas remplir mon « devoir » d'enfant, de ne jamais être là pour « mes » parents... Chaque fois que j'essaye de me rattraper, de les aider ou même de leur dire que s'ils ont besoin d'aide, je suis là, je n'ai pas le temps de finir une seule phrase. A croire que finalement, ça les arrange bien, les deux, que je me sois barrée.

Je traverse le couloir pour rentrer dans ma chambre. Je vois le président qui arrive. Ce n'est pas franchement le moment.

– Madame Faussette !

– Quoi ? dis-je en me retournant vers lui.

Au ton de ma voix, il a compris que je ne suis pas d'humeur. Il prend des pincettes.

– Puis-je savoir à qui vous téléphoniez ?

– A ma mère !

– Et de quoi avez-vous parlé ?

Je lui lance un regard, exaspérée.

– Que je la faisais chier, tout comme elle me fait chier. Ça vous va ?

– Mais vous avez dit que c'était « important » ...

Toute la colère que j'ai accumulée jusque-là explose.

– Putain ! Vous allez arrêter, tous, de m'emmerder ! J'ai rien dit ! Vous voulez savoir ? J'ai rien dit de votre incompétence ! Je voulais simplement les prévenir pour l'épidémie, mais apparemment, elle en avait rien à foutre !

Il me regarde, sans comprendre et sans vouloir me croire. J'en ai ras-le bol.

– Tiens ! cris-je en jetant presque le téléphone dans le visage. Vous voulez vérifier ? Appelez-la, elle sera ravie !

Je claque la porte de ma chambre et je m'enferme à l'intérieur.


U4 - CamilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant