Je me suis levée. Il est tôt, mais qu'importe. Je peux enfin faire ce qu'il me plaît. Les médecins étaient collés à mes basques depuis une semaine, mais ils considèrent que je n'ai plus besoin de rester en observation.
Je descends les escaliers. Mes chaussures ne sont même pas lassées. Tant pis. J'arrive dans le bâtiment « Pasteur BioTop ». Il y a une salle où ils ont accroché des posters avec plein de projets qui ont été réalisés grâce à BioTop. Il y a les entreprises, les entrepreneurs, les équipes de chercheurs, quelques sujets sur lesquels les promoteurs voulaient travailler... J'aime voir les sourires de ces personnes récompensées pour leur travail ...
J'aurai vraiment aimé être à leur place. Faire avancer la science en fabriquant de toute pièce une entreprise qui innoverait, inventerait, ferait des découvertes !
Oui, sauf que je n'y suis pas arrivé. En arrivant sur Paris, quand j'avais seize ans, avec ma bande de potes, je croyais que tout était possible. Et puis, on m'a remise à ma place. J'ai compris que si tout était possible, rien ne venait seul. Les nuits dehors, ou à squatter par-ci, par-là, les jours où on ne croit plus en rien... Et enfin, ce jour je décide de me reprendre en main, où je vais trouver un petit boulot pour reprendre mes études. Jeune et motivée. Voilà ce qui me décrivait le mieux à ce moment-là. J'ai tenté ma chance dans plusieurs universités, j'ai réussi à rentrer à l'université Pierre et Marie Curie.
Master, doctorat... J'enchaîne, sans me préoccuper de la fatigue, de l'argent, du stress. Toute la journée en cours, toute la nuit au boulot. Je me débrouille seule. Je réussis tout. J'ai un niveau excellent. Je me décide à monter ma propre entreprise ; j'ai de l'ambition mais pas d'argent. Alors je présente mon projet devant le jury de « Pasteur Biotop », après des mois de travail intenses sur le projet. Trop flou, pas assez documenté certainement, je ne suis pas reçu. J'aurai tenté.
Et là, je m'effondre. Tout ce que j'ai accumulé pendant les années précédentes me retombe dessus, la déception est plus grande que je ne l'aurai imaginé. L'alcool est mon seul soutien. Toute énergie me quitte. Je n'ai plus de raison de vivre, mais je m'accroche à la vie quand même. Je n'ai pas envie de mourir. Je n'ai plus envie de vivre, c'est tout.
Jusqu'à ce que le docteur Abigaëlle Chave me repêche, dans la rue, m'initie à sa passion, la microbiologie et me fasse remonter. Ça été long, ça été dur. Elle était toujours là. Elle ne m'a jamais laissée tomber.
Moi, si.
J'entends des pas dans le couloir, ça me sort de mes pensées. Merde, il est déjà huit heures. Je remonte en vitesse pour rejoindre ma chambre. Van Hecke est là, comme je m'y attendais.
– Où est-ce que vous étiez ? Je me suis inquiété !
– Ça va ! Je suis grande ! J'étais juste partie faire un tour.
Il est mignon de s'inquiéter pour moi, mais il ne faudrait pas qu'il prenne l'habitude de me dire ce que je dois faire.
– On va manger ?
On descend et on va au centre d'information scientifique. Ils ont aménagé une salle de réunion en réfectoire. On a le droit à trois repas par jour. Parfois, il faut aller aider en cuisine, parce qu'il y a de moins en moins de monde pour préparer les repas – tout comme il y a de moins en moins de chercheurs.
On s'installe à une table, au milieu de médecins, de professeurs et de chercheurs. Van Hecke me fixe pendant quelques instants. J'ai le nez dans ma tasse de café, mais je le vois du coin de l'œil. Je finis par relever le regard et me tourner vers lui.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Vous pouvez retirer votre capuche, vous savez.
– Je sais mais j'ai pas envie.
– Vous êtes très belle avec vos cheveux comme ça.
Je hausse les épaules. Ils ont préféré me raser les cheveux pour l'opération, pour je ne sais quelle raison – ils me les ont données, mais je n'ai pas voulu écouter. Du coup, je porte en permanence ma capuche. Je me trouve horrible sans cheveux pour couvrir mon crâne, déformé à l'arrière à cause de cette cicatrice du coup au soir du 9 octobre.
– Allez ! Retirez cette capuche ! s'exclame-t-il avec un sourire.
– Non !
Ne m'énerve pas dès le matin. Je suis encore pire le matin. Je pourrais te frapper. Et j'ai pas envie de te frapper. Pas aujourd'hui.
J'ai pu avoir quelques informations sur les recherches qu'on mène ici. Le virus, maintenant nommé U4 – pour « Utrecht 4ème génération » –, a décimé 90% de la population. Comme je m'en doutais, c'est un filovirus que j'étudiais qui a évolué en « filovirus méningé hyper virulent ». Il tue en quarante heures. En France, ce sont les jeunes entre quinze et dix-huit ans qui survivent. Alors on cherche les vaccins inoculés aux adolescents de cette tranche d'âge. Ils en ont trouvé deux pour l'instant. Mais ils en ont déjà éliminé beaucoup d'autres. Ici, on me dit que je suis une miraculée. J'ai survécu alors que j'ai été exposé au virus pendant des heures – peut-être même plusieurs jours.
Je n'ai pas encore le droit d'aider dans les expériences, mais je continue à aider sur des projets de recherche. Et puis, je leur ai donné mes notes, mes observations, tous mes cahiers. Je me sens enfin dans mon domaine et je me sens utile.
L'après-midi, je dois faire de la rééducation. C'est déjà un miracle que je puisse marcher, parler et faire pas mal de chose seule. Je ne vois pas vraiment clair, j'ai du mal à faire la mise au point, mais les médecins m'assurent que ça va vite s'arranger. Pour être sûr de ne pas avoir de séquelles, je fais des exercices tous les jours, pendant une demi-heure ou plus. Je m'y applique.
En sortant de la rééducation, aujourd'hui, je tombe sur deux militaires en combinaison NBC. Je baisse le regard et je passe vite. Ils se retournent, mais ne font rien. Je hâte le pas, je monte les escaliers et je rentre vite dans ma chambre. J'en suis sûr, si la cour pénale internationale veut m'arrêter et me juger, les militaires seront chargés de me ramener là-bas.
—
Je suis devant la fenêtre, le soleil est déjà bas. Je suis fatiguée, mais je ne peux pas m'endormir. Trop de choses m'agitent, me remuent, me font craindre le pire. Il y a de plus en plus de militaires. Est-ce qu'on leur a donné l'ordre de m'arrêter ? Ils essayent de contrôler la direction de l'institut, ils veulent
connaitre le maximum de détails sur les recherches, ils sont de plus en plus présents. Cette fois, je n'aurai aucune chance de m'échapper.
On frappe à la porte. Je me retourne. Van Hecke entre et referme doucement la porte derrière lui. Je veux remettre ma capuche, mais il m'en empêche.
– Arrêtez, ce n'est pas la peine.
J'hésite, mais je soupire finalement d'assentiment. Il me regarde sans se moquer, il plonge ses yeux dans les miens sans se mettre à rire. Il est... sincère ? Il me trouve vraiment belle sans mes cheveux ? Je baisse le regard. Il s'approche et pose sa main sur mon épaule.
– Est-ce que ça va ? demande-t-il tout doucement.
Tu sais déjà, c'est ça ? Ça se voit tant que ça que je ne sais pas quoi faire ? Que j'ai peur ? Que je n'ai pas envie d'aller en prison ? Que je ne sais même pas si je suis innocente ou coupable ? Je sens des larmes monter jusqu'au bord de mes yeux. Et puis, je ne peux pas les retenir, elles se mettent à rouler sur mes joues. Il me prend dans ses bras.
– Ça va aller, ne t'inquiète pas, ne t'inquiète pas.
Il me serre contre lui, mais ses mains touchent à peine mon dos. Je me laisse aller contre son torse, je pose mon oreille contre sa poitrine. Je sens les battements de son cœur, son souffle qui glisse le long de mon dos, ses mains qui frémissent. Je pleure doucement, mes larmes glissent sur mes joues et mouillent son t-shirt. Il finit par poser ses mains dans mon dos, et il me serre plus fort. Je l'enlace et je sens tous son corps lâcher. Il pleure. Lui aussi.

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U4 - Camille
FanfictionJe m'appelle Camille. Je travaillais sur les recherches pour éradiquer Ebola. Désormais, je suis accusée de "crime contre l'humanité". Mais je ne suis pas une terroriste. Je ne veux pas aller en prison. Sauf que personne ne peut m'aider. Tout le mon...