3. HOUSE OF THE RISING SUN (PARTIE XI)

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Tout cela me conduisait finalement à une seule interrogation et pas des moindres : dans quoi m'étais-je embarquée ? Les heures qui suivirent ne m'aidèrent pas à répondre à cette question, pas plus qu'à l'effacer de mon esprit. Je tâchai de prendre mes aises dans cette chambre qui n'était pas – et ne serait en tout logique jamais – mienne, et passai ma matinée à ranger mes affaires là où je trouvais la place.

J'étais secouée par les évènements que je venais de vivre et n'arrivais que très difficilement à me concentrer sur ce que je faisais. Cet enchaînement improbable de faits depuis mon arrivée avait fait voler en éclat tous mes repères, au point de me donner l'impression de faire un de ces cauchemars désagréables dans lequel j'anticipais un moment à venir en m'imaginant les choses les plus folles. Sauf que j'étais bel et bien réveillée, et chamboulée. En attestaient les vêtements que je portais et dont je m'empressais de me débarrasser.

Le déjeuner me fut livré au milieu de la journée par une jeune fille peu encline à la discussion, qui osa à peine m'annoncer l'objet de sa présence. Je fus rassurée de ne pas avoir à me montrer devant des tiers, vu l'état dans lequel je me trouvais. L'heure du dîner viendrait bien assez tôt et l'idée de me confronter à l'emblématique Stanton Connelly ne m'inspirait rien de bon.

Après avoir vainement tenté de classer mes livres dans une bibliothèque qui n'était initialement qu'à moitié remplie, je lâchai la pile que je tenais entre les mains et m'installai sur une chaise près d'une grande fenêtre, avant de tirer le grand rideau blanc qui faisait barrage au faible éclairage extérieur. La pluie dégringolait inlassablement sur la vitre, me refusant presque le droit de regarder au-dehors.

Je me demandai l'espace d'un instant si je m'étais jamais sentie aussi prisonnière de toute ma vie, avant de réaliser que la véritable question était plutôt de savoir si j'avais jamais eu le sentiment d'être libre, ne serait-ce qu'une fois dans mon existence. Certes, j'avais arraché pas mal de moments d'évasion lorsque je vivais encore à Negendra, mais je n'appelais pas ça de la liberté – il ne s'agissait que d'instants de rébellion, purement et simplement. Ici, je n'avais même pas les moyens de m'offrir ça. Sans chaperon, en tout cas.

Je détestais m'apitoyer sur mon sort, mais je n'avais que ça à quoi me raccrocher, à cet instant. Je me refusais à penser aux personnes que j'avais laissées derrière moi, parce que je savais pertinemment que je ne tiendrais jamais longtemps si je me laissais aller. Néanmoins, je peinais à garder le moral, ce qui n'était pas vraiment une nouveauté non plus. Pas mal de gens soutenaient que la dépression atmosphérique quasi-constante jouait pour beaucoup dans la démotivation du peuple, mais j'étais convaincue que là n'était pas la question. Nous avions toujours vécu dans ces conditions – pour la plus jeune génération, tout du moins – et nos corps s'y étaient parfaitement adaptés. Non, le véritable problème reposait surtout sur le fait que l'humanité n'avait peut-être jamais connu un climat aussi pourri de toute son histoire.

Je ne repris pied dans la réalité qu'aux alentours de 18 h 30. Je n'avais aucune idée de l'heure à laquelle je serais conviée à la table des Connelly, mais je devais me préparer un minimum. Attrapant l'une des robes que j'avais suspendue sur un cintre, j'investis la salle de bain et pris une longue douche brûlante qui, à l'instar de la veille, ne m'aida pas beaucoup à me détendre. Je me séchai sans me presser, pourtant consciente que ce n'était pas le moment de m'accorder ce luxe.

Le tissu noir de ma robe cache-cœur glissa sur ma peau rougie par l'eau chaude, alors que je dégageais mes cheveux pour les remonter en un chignon très libre. Plusieurs mèches bouclées s'en échappèrent pour encadrer mon visage et retomber sur ma nuque, alors que je plaçais des baguettes que je n'utilisais que rarement pour le maintenir en place. Je me composai un maquillage plutôt sommaire, obscurcissant très légèrement les coins de mes yeux avant d'appliquer une couche de mascara, puis d'ajouter un film de gloss très fin sur mes lèvres – plus parce que j'aimais l'odeur qui s'en dégageait que par réel besoin.

En éloignant le pinceau de mon visage, j'avisai la chair de poule qui recouvrait mes bras nus et revissai le tube avant de sortir de la salle de bain. J'enfilai un boléro noir par-dessus, tout droit sorti de ma penderie, à l'instant même où quelqu'un frappait à laporte. Il ne pouvait donc pas s'agir d'N.J. – lui n'aurait même pas pris la peine de s'annoncer.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant