4. DISTURBIA (PARTIE IX)

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Je pénétrai dans la chambre avec une sensation de lassitude profonde. Comment la soirée avait-elle pu tourner aussi court et prendre une telle tournure ? Ça faisait beaucoup de choses à encaisser en une seule journée. Je n'aurais jamais dû m'entêter dans mon projet de passer ma soirée avec Tessa et le reste de sa bande, et je le savais depuis le début.

Ces gens-là et moi n'étions pas du même monde, je m'en étais rendu compte dès notre première rencontre. Rejeter la faute sur la réaction de Norin ce matin aurait pu justifier une partie du processus, mais en toute honnêteté, j'avais juste été très conne, sur ce coup-là. En même temps, n'avais-je pas trouvé exactement ce que je cherchais là-bas ?

À l'évidence, si je devais rester un poil objective, la réponse restait non. Je n'avais obtenu aucun renseignement sur la résistance, c'était à peine si j'étais tombée sur l'un de leur potentiel membre ou proche collaborateur, ce qui n'avait servi qu'à m'exposer au danger. L'abruti qui me servait de compagnon de chambrée avait eu raison sur toute la ligne.

Je m'affalai sur le couvre-lit devant ce constat. Pourquoi fallait-il que les éléments s'acharnent à démontrer de manière systématique qu'il avait raison ? J'avais été prise pour cible dès que j'avais franchi le seuil du Q.G. des soldats – et tout le monde m'avait prévenue, je ne pouvais pas prétendre le contraire. Les camarades de Tessa n'étaient pas la meilleure compagnie que j'aurais pu me choisir, ce n'était plus à démontrer. Quant à Parson, il semblait effectivement moins abruti que je ne l'avais imaginé de prime abord, et de meilleur conseil que je ne l'aurais cru.

En me débarrassant de ma veste, je m'interrogeai sur les dernières paroles du garde. J'étais assez réticente à l'idée de discuter avec N.J. Mais pourquoi, en réalité ? J'en vins à m'interroger sur la relation que j'entretenais avec l'intéressé. D'un point de vue strictement objectif, lui et moi n'étions que des camarades d'infortune, pris au piège d'un accord qui dépassait nos simples existences. Lors de notre tout premier contact, nous avions fugacement partagé cette connivence en affrontant nos pères respectifs, mais celle-ci s'était vite effacée au détriment du renfermement de Norin – et peut-être en partie du mien.

Nous partagions pourtant certains points communs, qui auraient suffi à mettre d'accord n'importe qui d'autre dans la même situation. Mais pour une raison qui m'échappait, nous n'étions de toute évidence pas capables de devenir de simples amis. Un rien nous menait à l'affrontement, et le fait d'être aussi bornés l'un que l'autre ne nous facilitait pas la tâche. Tous nos échanges ou presque se fondaient sur une provocation non dissimulée, qui cachait mal un désir d'éviter tout rapprochement. À ma décharge, je faisais tout pour ne pas m'attacher à lui, ne serait-ce que par amitié, pour la simple et bonne raison que j'essayais de minimiser à l'avance les dégâts de la grenade que je devrais prochainement dégoupiller.

Et pourtant... Derrière ce mur, dont nous cimentions chaque brique tour à tour, N.J. ne m'était pas complètement indifférent. D'un point de vue physique, il m'attirait, c'était indéniable. D'ailleurs, il était bien le premier à m'avoir jamais fait ressentir ce genre d'attirance. Pas une fois je ne m'étais ne serait-ce qu'autorisé la seule idée de sortir avec quelqu'un avant la date fatidique de mon mariage. En plus d'un désintérêt total pour tous les spécimens masculins qui m'avaient entourée depuis le début de ma vie, j'avais toujours redouté de créer quoi que ce soit de sérieux avec quelqu'un à qui j'aurais pu tenir de cette façon. À quoi cela aurait-il pu mener, si ce n'était deux cœurs brisés et beaucoup de problèmes en perspective ?

Je n'avais même jamais espéré rencontrer l'homme de ma vie en la personne qui devait incarner plus tard mon futur mari, pour la simple et bonne raison que je l'imaginais aussi corrompu et arrogant que les dirigeants qui peuplaient l'Île – sans compter que le hasard n'aurait pas pu faire aussi bien les choses, de toute manière. Certes, il s'avérait qu'N.J. se révélait très différent de ce que je m'étais imaginé au cours de ces dernières années, mais même si j'aimais sa manière de me provoquer et d'inconsciemment – ou non – me mettre au défi, je n'envisageais pas une seule seconde de changer mon fusil d'épaule et d'accepter le moindre rapprochement avec lui.

Rien de tout cela ne serait très sain pour nous deux, sans compter que je répondrais exactement aux attentes de mon père en faisant cela. Je n'avais aucune envie de donner l'impression de le manipuler pour arriver à mes fins, même si pour atteindre le résultat escompté, je devrais bien jouer le jeu d'Adamson à un moment ou à un autre. Tout ce que j'espérais, c'était faire le moins de dégâts possibles : pas d'attache, pas d'engagement, pas de souffrance. Mais pour pousser N.J. à rompre les clauses du traité, il lui faudrait plus que la perspective d'une simple nuit avec moi. Les retombées étaient bien trop conséquentes pour qu'il s'autorise une chose pareille.

— Je suis atroce, soufflai-je en fixant le plafond.

C'était la première fois que je cherchais à ébaucher une stratégie pour ce que l'on attendait de moi, et je me faisais horreur. La culpabilité me tordait l'estomac à m'en donner la nausée. Je n'allais jamais y arriver, voilà la vérité. Encore moins dans l'état actuel des choses.

Serait-il au moins possible de conclure une trêve temporaire entre lui et moi, histoire de ne pas avoir à vivre tout ça de manière plus difficile qu'il n'était nécessaire ? Je devais au moins le lui proposer. À lui de décider ce qu'il conviendrait le mieux de faire, après ça. N'avait-il pas toujours raison, après tout ?

Sur cette dernière pensée amère, je me déshabillai et enfilai un tee-shirt trop long par-dessus mes sous-vêtements, sans rien d'autre. Cela ne poserait aucun problème vu que J eserais seule à occuper cette chambre, cette nuit. Celle-ci me porterait conseil – avec un peu de chance.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant