10. SEND ME HOME (PARTIE V)

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— Je suis tellement désolée, gémis-je en reniflant de manière erratique.

— Ça, je le sais. Mais tu dois à tout prix quitter cet endroit le plus vite possible.

Elle m'attrapa par la main et se dirigea vers la valise que j'avais abandonnée sur le lit.

— Et vous ne m'en voulez pas ? me stupéfiai-je en la regardant réunir mes effets personnels.

Elle se dirigea vers la salle de bain et me fit tendre les bras pour les charger en vêtements.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? soupira-t-elle. Que je suis heureuse que tu te sois servi de mon fils ? Non, bien sûr que non. En tant que mère, je ne supporte pas de le voir souffrir. Mais ça s'applique dans les deux sens. Même si ça peut te sembler rapide ou bizarre, je te considère comme ma fille depuis le jour où tu es arrivée ici. Et je ne suis pas aveugle, je vois bien à quel point tu souffres de la situation. Je me trompe peut-être, mais j'ai la sensation de te connaître suffisamment pour savoir que tu n'aurais jamais fait une chose pareille si quelque chose de grave ne t'y avait contrainte.

— Je veux que vous sachiez une chose. Mon père a menti. Je ne suis jamais allée lui dire qu'il m'avait forcée à... Ce que je veux dire, c'est que c'est lui qui m'a envoyée ici, dans le but de faire voler en éclat notre contrat. Il a menacé mon frère et...

— Ne t'inquiète pas, ça, je l'avais compris, me rassura-t-elle en attrapant une partie de mon fardeau et en retournant dans la chambre. Je connais les méthodes qu'est susceptible d'employer ton père – mon mari emploie les mêmes. Et je vais te dire une chose à mon tour que tu sais déjà, mais que j'ai pourtant toujours éludé. Mon mari est une ordure et je le hais, non pas pour ce qu'il me fait subir, mais pour la façon dont il traite notre fils. Il se sert de moi pour faire pression sur lui et m'obliger à ressasser chaque jour le sentiment d'être un fardeau pesant sur les épaules de Norin. Mais j'ai choisi cette vie. Moi aussi, j'ai dû faire un choix compliqué, autrefois.

Elle fit une pause le temps d'agencer ma valise de façon à tout faire entrer, tandis que je la dévisageai, consternée. J'avais l'impression d'être une enfant dépassée par les évènements.

— Je t'ai raconté que je menais une vie de sauvage au cours de la guerre qui a opposé nos deux camps, recommença-t-elle en me regardant droit dans les yeux. Que je devais survivre pour protéger ma famille. Elle n'était pas bien grande en fait. Je n'avais que la charge d'une jeune fille, tout juste âgée de deux ans de moins que moi. On s'était retrouvées à partager le même campement et on ne s'est plus ou moins adoptées. Je devais sans cesse faire attention à Nessa, parce qu'elle était enceinte de huit mois et que son petit ami était mort depuis longtemps. Quand l'idée de la trêve a été évoquée, Stanton nous a trouvées au détour de notre fuite et a jeté son dévolu sur elle. Je savais quel genre d'homme il était, je l'avais déjà vu à l'œuvre. Et il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que ce qu'il convoitait en elle, au-delà de sa beauté, c'était l'enfant qu'elle portait et qui lui permettrait d'être le premier à honorer sa part du contrat, celui qui redistribuerait les cartes du jeu. Ne me demande pas comment, Nessa savait que c'était un garçon. L'intuition, l'instinct maternel, appelle ça comme tu veux – j'ai arrêté de douter de ces choses-là quand je suis devenue mère à mon tour. Et bien sûr, Stanton en était persuadé lui aussi, il ne voulait pas rater sa chance. Mais elle avait peur de lui. Elle était jeune et ne voulait pas trahir celui qu'elle avait aimé en faisant passer son fils pour celui de quelqu'un d'autre – plus particulièrement quand ce quelqu'un s'appelle Stanton Connelly, dirigeant de l'Union Bleue.

Elle s'interrompit une seconde, replongeant dans ses souvenirs à mesure qu'elle faisait glisser les fermetures éclair de mon bagage.

— Alors, j'ai fait ce que j'avais à faire. Pour protéger Nessa de son emprise, je suis allée voir Stanton et je l'ai supplié de se tourner vers quelqu'un d'autre. Il s'est amusé à me soumettre à mille et une idées de chantage avant de me considérer plus sérieusement et de me faire sa véritable proposition. C'était elle ou moi. Mais il était dans mon intérêt de lui donner un enfant très rapidement et bien évidemment, un garçon. Sans quoi, notre fille devrait faire don de sa personne au profit de la manière dont il déciderait de gérer cette histoire de pacte.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant