10. SEND ME HOME (PARTIE I)

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Je n'avais jamais vraiment compris comment quelque chose d'aussi fragile que le verre pouvait résister à des chocs aussi violents – combien de fois en avais-je fait tomber un en m'étonnant de le voir seulement rouler au sol, parfaitement intact – alors que parfois, le moindre impact ou la simple tessiture d'une voix pouvait le faire éclater en morceaux. À cet instant précis, néanmoins, cela aurait très précisément pu décrire ce qu'il m'arriva lorsque N.J. ouvrit la bouche.

— QUOI ? rugit-il.

Je n'avais même pas eu conscience jusqu'ici d'être encore entière. Certes, des fêlures avaient bien traversé de leurs lignes géométriques le cours de ma vie, mais à présent, j'avais la sensation d'enfin voler en éclats. Sauf que les morceaux étaient bien trop petits pour espérer être recollés un jour.

— Comment... Mais comment tu as pu faire une chose pareille ?

En soutenant avec bien des difficultés son regard, je ne pus que constater qu'il était en train de vivre exactement la même chose. Si je pouvais accepter de m'être infligée cela toute seule, je n'arrivais pas pour autant à supporter de le voir aussi, si ce n'était plus brisé que moi.

— Mais parle ! Dis quelque chose, au moins !

J'estimais déjà en avoir trop dit, mais il ne semblait pas de cet avis. Son regard s'alluma de manière féroce.

— Tu vas m'expliquer ou tu comptes rester plantée là comme une conne jusqu'à ce que je craque ?

Je tressaillis. Jamais il ne m'avait parlé comme ça, pas même à nos débuts, dans nos pires moments d'incompréhension. J'avais l'impression de ne plus être en face du même homme. Et je devais bien avouer que cette nouvelle version de lui-même me faisait peur.

— Je n'ai pas eu le choix, tremblai-je en baissant la tête. Tout était prévu bien avant mon arrivée.

Je ne réalisai qu'au moment où je prononçai ces mots que ce n'était pas l'entrée en matière idéale.

— Tu te fous de ma gueule ? s'emporta-t-il derechef.

Il envoya valser la chaise contre un mur, qui y laissa son empreinte sous la violence de l'impact. J'esquissai malgré moi un mouvement de recul.

— Écoute-moi, je t'en prie ! le suppliai-je. C'est mon père qui a décidé de rompre le pacte, pas moi. Je n'étais pas d'accord...

— Arrête tes conneries ! Jamais ton père n'aurait pu t'obliger à te faire avouer si tu ne l'avais pas voulu ! Je suis le mieux placé pour savoir que tu ne ferais jamais quelque chose que tu n'as pas toi-même décidé. Tu m'as bien assez mené la vie dure à cause de ça ! Alors, ne viens pas me faire avaler qu'il t'a forcé la main !

Son ton était tranchant, acéré. Je vacillai sous l'impact de ses reproches. Comment pouvait-il décemment croire que je nous avais délibérément fait subir à tous les deux une chose pareille ? À croire qu'il ne me connaissait pas du tout ! Lorsque je le vis me jauger, je compris que c'était exactement ce qu'il pensait, à cet instant.

— Il menaçait mon petit frère ! criai-je sous le coup de la frustration.

Il sourcilla à peine devant l'information. Sa colère était en train de l'aveugler.

— Toute ma vie, ce qui me sert de père a menacé la vie de ma mère, la personne qui compte le plus au monde pour moi ! Mais tu peux me croire quand je te dis que même s'il était servi une fois de plus d'elle pour me faire chanter, jamais, tu m'entends, jamais je ne t'aurais fait subir une chose pareille ! Jamais je n'aurais utilisé tes sentiments avant de les écraser et de te les rejeter en pleine figure !

— Je n'ai pas rejeté tes sentiments ! Bien au contraire ! C'est ce qui me tue le plus dans toute cette histoire, c'est que tu puisses croire que je t'ai manipulé ! Et puis, tu dis ça, mais tu ne peux pas comprendre la situation dans laquelle je suis...

— J'aurais trouvé un autre moyen de la protéger ! renchérit-il comme si je n'avais pas parlé.

— J'ai essayé !

— Eh bien, tu n'as pas assez essayé !

Je bondis littéralement de rage. Mon visage n'était plus qu'à quelques centimètres du sien. Seule l'injustice de son attaque me donnait assez de force pour affronter la fureur qui déformait ses traits.

— Je ne voulais pas nous infliger ça ! Pourquoi tu crois que je t'ai repoussé la première fois ? Quand les choses ont failli devenir sérieuses entre nous ?

— Ça n'a pas eu l'air de te déranger quand tu es venue me trouver hier soir, en tout cas ! rétorqua-t-il durement.



Media : Scars, I Prevail.

ENDLESS RAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant