Après avoir sauté de joie pendant pratiquement une demi-heure, je me suis efforcée à me calmer. Je suis restée cloitrée dans ma chambre tout l'après-midi afin d'éviter de subir le courroux de ma mère. Je venais certes de remporter une bataille contre elle, mais la guerre était très loin d'être finie. Et elle n'avait pas encore dit son dernier mot.Aux dernières lueurs du crépuscule, j'étais encore absorbée par ma lecture quand Malick vint me trouver dans ma chambre :
- Malick : Maman veut que tu viennes l'aider à la cuisine pour préparer le dîner. Fais-vite, j'ai faim.
Non mais ce petit se prenait trop pour Dieu le Père. Depuis qu'on lui avait diagnostiqué sa drépanocytose, il était devenu encore plus capricieux et plus insolent que d'habitude. Il versait des larmes de crocodile à la moindre égratignure. Je le soupçonnais d'ailleurs de louvoyer parfois en prétextant avoir des douleurs, uniquement pour que ses moindres envies soient assouvies. Trop malin le petit frère.
- Moi : Sois poli. Un petit STP ne t'aurait pas écorché la bouche. Tchiiip, malpoli va.
- Malick : Laisse-moi tranquille, vieille sorcière va. Tu me fais peur avec ta tignasse là.
Avant que je ne puisse l'atteindre, il avait déjà détalé comme un lièvre, en dévalant précipitamment les escaliers. C'est dans ces moments-là que je regrettais mon petit studio de Toulouse : là-bas au moins, je pouvais lire tranquillement pendant des heures et des heures sans que mon chenapan de petit frère vienne m'embêter, ou que ma mère me prie de venir participer aux taches ménagères. Eh ouais, je ne vous le cache pas : je suis assez paresseuse de nature.
Je me suis levée tant bien que mal en rouspétant intérieurement. J'appréhendais de me retrouver avec ma mère dans la cuisine. Elle était capable de m'assassiner, d'autant plus que mon père était sorti voir ma grand-mère. C'était son petit rituel du dimanche après-midi, auquel il ne dérogeait jamais. A son retour, on lui servira sa petite salade qu'il avalera sans desserrer les dents, puis, il ira se coucher tranquillement. Parfois je me demandais de quelle planète il pouvait bien venir pour être aussi laconique. Bref, je suis allée rejoindre ma mère à la cuisine. Elle était de dos, en train de laver la salade verte qu'on servirait à dîner. Armée d'une grande prudence, je restais sur le pas de la porte en l'observant avec soin afin de déceler un quelconque acte de sa part qui pourrait trahir son énervement. Elle s'est enfin retournée, et m'a vue debout devant la porte, comme une idiote. Il n'y avait pas l'ombre d'un sourire sur son visage.
- Ma mère : Viens découper les concombres et les tomates.
- Moi : Mais tu les as déjà découpés, Maman. Je les aperçois d'ici.
La daronne me croyait bête. Je savais qu'elle cherchait la confrontation, chose que je n'étais pas encore prête à faire face. Cette scène m'a vaguement rappelé ma jeunesse, dans les moments où après avoir fait une bêtise, je me tenais au loin de peur de me faire battre par ma mère. J'avais toujours été une peureuse, surtout envers Maman. Elle me terrorisait grave.
- Maman : Kira, je ne rigole pas. Viens ici !
- Moi : Mais maman, que me veux-tu ? Tu veux juste me.....
Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase : ma mère, rapide comme l'éclair, a déchaussé en une fraction de seconde une de ses sandales et me l'a jeté à la figure. Je l'ai évité de justesse. La gorge nouée, et le cœur en lambeaux devant tant de violence, j'ai commencé à pleurer à chaudes larmes (quoique j'aie un peu exagéré quand même, en vue de l'attendrir) :
- Moi : J'ai fait quoiiiii ? Ahnnnn. Je raconterai tout à Papa, dès qu'il rentrera.
- Ma mère : Tu n'as qu'à aller à la tombe de mon ancêtre et le lui raconter, je m'en fou. Personne ne pourra m'empêcher de te casser la gueule aujourd'hui. C'est moi que tu mets en mal avec ton père, maintenant ? C'est quoi ces manières ? Tu crois que je suis devenue trop vieille pour pouvoir te corriger ? Imbécile, va !