Chapitre 29 : Abandonne-moi.

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La guerre, c'était l'enfer entre les monstres de ce monde. Je m'en rendais compte maintenant. C'était un cauchemar quotidien. On nous parlait de gloire, d'honneur, mais jamais personne n'évoquait la peur au ventre, la mort qui nous attendait. Pourtant, c'était une vérité, bien plus poignante et plus proche.

Je ne savais pas si ce jour-là, mon instinct m'avait mis en garde que cette journée serait bien plus différente des autres. Bien plus sordide. Que ce serait un véritable bain de sang. 

J'étais trop préoccupé par cette boule de terreur qui creusait mon corps et noircissait mon esprit. J'avais peur de mourir, certes. Mais surtout, chaque jour je devenais plus amoureux d'Andris que le précédent. C'était destructeur. Plus j'aimais, plus j'avais peur. Je ne voulais pas le voir partir, je voulais que la guerre s'arrête à tout jamais. Du haut de mes dix-sept, c'était l'unique chose de ce monde qui m'obnubilait autant. Je voulais juste vivre avec l'homme que j'aimais, et pourtant j'étais bloqué sur les champs de guerre. 

Je devais défendre la paix, me répétait-on. La paix ? Où était la paix ? Non, elle n'existait plus. J'amenais la mort, d'autres le faisaient en face, et finalement tout paraissait sans fin. Le peu de paix que j'avais, c'était quand j'entendais le cœur d'Andris battre doucement alors que je couchais ma tête sur son torse. La paix, c'était les baisers dans la nuit, avant que le jour se lève et éclaire les champs de guerre. Les rayons illuminaient les traces de sang, les sillons de larmes, et finalement, vivre pour la noirceur de la nuit et ses corps qui s'enlaçaient d'amour était plus beau. L'obscurité cachait l'enfer que l'on avait fait de la Terre.



Soldats, nous avons répété les moindres détails de l'instruction. Je ne veux aucun échec, parce que nous nous apprêtons à prendre une place forte. N'ayez pas de pitié. Entrez dans la base, capturez leur chef.

Je regardais mes derniers compagnons finir d'enfiler leurs tenues et jeter un coup d'œil à leurs armes. Andris se tenait assis derrière moi, les bras autour de mes épaules et le visage près de mon cou. Sentait-il mon pouls trop rapide ? Cela faisait plusieurs semaines que j'en devenais tétanisé d'aller me battre, parce que je me rendais enfin compte à quel point la guerre semblait interminable. Je me rendais surtout compte de ce que j'avais à y perdre chaque jour.

Dépêchez-vous de vous habiller, l'hovercraft nous prend dans quinze minutes, rouspéta notre instructeur. Soldat Bernsen, lacez-moi ces chaussures plus rapidement ! Soldat Zsolt ! Vous mangerez après, vous faîtes des miettes partout dans la caserne ! On combat mieux le ventre léger en plus ! Et vous Soldat Horvath, dépêchez-vous !

Je suis prêt, Lieutenant.

Non, je voulais vous dire de vous dépêcher de le demander en mariage. Près de deux ans que j'assiste à vos échanges amoureux, croyez-moi, en ces temps, il y a des choses qu'il faut vite faire.

Plusieurs gars se mirent à rigoler en nous regardant. Moi-même, je souriais comme un idiot. Il était vrai que mon couple avec Andris ne passait pas inaperçu, on se faisait souvent charrier dessus, mais en même temps, c'était rare que deux gars du même régiment soient ensemble. On était une sorte de coqueluche au fond.

On a dix-sept ans, Lieutenant.

Le monde a des millions d'années, notre civilisation des milliers d'années, et nous ne comprenons toujours pas que la guerre est destructrice. Nous ne savons pas de quoi demain est fait. L'éternel est fait d'éphémères. Croyez-moi Soldat, l'amour se perd dans ce monde. J'admire ce qui est beau, ce qui donne de l'espoir.

Les rires s'étaient tus. Il était vrai que même si notre Lieutenant devenait de plus en plus ouvert face à notre régiment, oubliait parfois une partie de sa vulgarité et se livrait à quelques confidences, je crois qu'il n'en avait jamais fait d'aussi intimes. Il en avait marre de la guerre aussi ? C'était sans doute ça le pire, la guerre nous écœurait, mais on n'avait d'autres choix que d'y aller.

Alaska.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant