Chapitre 30 : Adieu soldat.

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Les yeux dans le vide, je fixais encore le mur face à moi. Une peinture écaillée, abîmée. Comme mon corps, blessé, les plaies à vif, la chair arrachée, le cœur meurtri. Les nuits tombaient, les jours se levaient, une infirmière venait ouvrir ou tirer les rideaux de ma chambre.

—     Vous avez eu de la chance soldat.

Toujours le même discours. J'avais vu mon univers mourir devant mes yeux, en étant l'unique rescapé. Personne ne me comprenait. J'étais chanceux apparemment.

—     Ce ne sont que des blessures superficielles dans l'ensemble. Vous vous en remettrez vite.

Les médecins n'avaient pas ausculté mon cœur, complètement vide, mon esprit, totalement dépossédé. Mais j'allais bien selon eux.

—     Vous devriez manger, les perfusions vous apportent le strict nécessaire, mais il est important de se réalimenter.

Pourquoi donc ? Je ne sentais plus la faim, plus la soif, plus rien. Ni la joie, ni la tristesse. Je devenais le fantôme de moi-même. Les fantômes ne mangeaient pas. Les fantômes ne vivaient pas.

—     Vous avez l'air fatigué, vous devriez dormir. Prenez les somnifères.

Je dormais déjà. J'étais même dans un cauchemar.

—     Battez-vous soldat. Il y a toujours une cause pour laquelle se battre. Il y a toujours de l'espoir.

L'espoir était parti. La dernière fois que je l'avais vu, l'enfer venait sur terre. L'espoir était mortellement blessé. L'espoir pleurait avant de m'embrasser. L'espoir avait peur, puis il m'avait quitté.

—     Soldat, vous n'avez toujours pas dit un mot depuis les trois jours que vous êtes ici. Vous voulez voir un psychologue ?

Comme d'habitude, aucun son ne sorti de ma bouche. Je restais muet, dans le silence de ma chambre de l'hôpital militaire. Quelques secondes plus tard, après avoir changé mon pansement à la cuisse, désinfecté mes quelques plaies, l'infirmière partait.

Et je restais allongé, à attendre que le temps passe, dans un étrange vacarme. J'entendais autour de moi le raffut du sol qui explosait, le sang me giclait dessus, je voyais des hommes tomber, entendais des cris de douleurs, et la mort se répandait autour de moi sans me toucher.

« Abandonne-moi ». Putain, je n'y arrivais pas. Je m'abandonnais juste moi-même, mais je n'arrivais pas à abandonner l'image d'Andris. Je n'en étais pas capable, je ne voulais pas.





La porte s'ouvrit à nouveau, et cette fois-ci, ce fut le Lieutenant qui entra dans la chambre. Je fis seulement l'effort de le regarder, pas de salut militaire. Je n'en avais pas l'envie, pas la foi. Je ne voulais plus me rappeler cette guerre qui m'avait tant enlevé. Mon père, mon petit-ami, mes compagnons. Je me sentais seul.

—     Soldat Horvath.

Sans doute qu'il attendait une quelconque réponse, mais je ne prononçais rien. Il s'avança doucement vers moi, pour se tenir debout face à moi. A demi allongé sur le lit, je fixai cet homme au niveau de mes pieds. Il gardait cette allure fière, imperturbable, droit comme un roc, invincible. Alors qu'il avait perdu un bataillon entier d'hommes.

—     Je suis désolé, pour ce qui est arrivé au caporal Racz et ses hommes. Je suis désolé pour vos compagnons, pour Zsolt. Surtout, je suis désolé pour Andris. Et je suis désolé pour vous.

Ma gorge se serra douloureusement. Je sentis ma vision se troubler, alors que cela faisait plusieurs jours que je n'avais pas pleuré. Je pensais que je n'avais même plus de larmes dans le corps. J'entendais les voix des infirmières qui n'arrêtaient pas de murmurer que je restais trop sur le choc.

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