Chapitre 42

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Nous étions à une réunion de liste ce vendredi soir, l'ambiance était surchauffée par la profusion des idées, des prochaines échéances, des retours de notre semaine. Nous étions à un mois des élections, c'était la dernière ligne droite, là ou il fallait jeter toutes ses forces.
Les sondages donnaient gagnante Louise, mais à une très courte majorité, avec un différentiel de 1,5%. C'est à dire rien, à l'échelle d'une ville de plus de 200 000 habitants.
J'avais passé mes dernières semaines sur les pavés, dans des réunions, tractant, essayant de convaincre toujours plus de personnes. A côté de cela, je continuai à travailler à l'Etude, profitant de chaque moment libre pour retourner en campagne. C'était épuisant, il fallait bien l'avouer.

" Tu fais des journées de 45 heures, calme toi un peu, j'ai envie que tu vois grandir ta filleule ! " m'avait lancé Mathilde sur le ton de l'humour même si elle s'inquiétait un peu pour moi. Je pouvais le voir. Elle pensait que même si ce que je faisais dans cette campagne me plaisait, je m'étais lancée la dedans à corps perdu, en raison de Louise. Et elle s'inquiétait de la tournure qu'allait prendre les événements.

" Je gère Mathilde ne t'inquiète pas ! Et regarde, au moins, je fûmes moins ! " lui avais je dis dans un sourire, tentant de la rassurer.

Durant les dernières semaines, j'avais croisé des colistiers de Louise lorsque je tractais, mais je ne l'avais jamais vue en personne, juste sur ces grands posters électoraux qui fleurissaient en ville. C'était parfois difficile de croiser ses yeux bleus plusieurs fois par jour. Même douloureux. Je pensais toujours énormément à elle, dans un mélange de rancœur et de déception.
Ce Dimanche Matin là, j'étais sur le marché de la grande place, échangeant entre les allées avec les électeurs au côté de Philippe et d'un autre colistier. C'était le lendemain du grand meeting de Philippe qui avait fait salle comble.
Soudain, je la vis arrivée dans notre direction. Louise, accompagnée de deux autres personnes. Louise, en pantalon bleu nuit et chemisier blanc qui mettait en valeur son regard.
Impossible de s'éviter, il n'y avait aucun échappatoire. Mon coeur battait à tout rompre. Je ne l'avais pas revu depuis cette dernière fois. Mes mains devinrent moites. Ne pas perdre le contrôle. Lorsqu'elle m'aperçut, son sourire se figea littéralement.
Comme souvent en politique, il fallait faire faux semblant. Louise et Philippe se détestaient, mais ils ne pouvaient pas décemment se croiser sur un marché, devant leurs futurs électeurs et quelques journalistes, sans se saluer. A ce petit jeu, Louise était très forte, se forçant à sourire, paraître affable. Elle ne me regardait pas, m'ignorant totalement.
Elle ne m'adressa qu'un regard, pour me saluer. Elle n'avait pas le choix. Ce regard était glacial. Plus que glacial.
J'étais très mal à l'aise à présent. Je décidai d'aller aux toilettes municipales, situés à quelques mètres.

Je repris mon souffle et mes esprits à l'intérieur de la structure.
Quelqu'un entra subitement, quelques minutes plus tard, fermant la porte à double tour.
C'était Louise, là, à moins de deux mètres de moi.Elle m'avait suivit. Son regard n'était absolument pas amical.

" Qu'est ce que ... "

Elle me coupa.

" Tu es bien plus qu'une garce Emma ! Tu veux jouer à cela ? Me faire passer par une menteuse ? "

Je bafouillais, ne sachant que répondre.

" Pourquoi me dis tu ça ? "

Elle fulminait.

" On m'a rapporté le meeting d'hier, plus spécialement l'attaque de ce con sur le projet d'agrandissement ! "

Je voyais à présent où elle voulait en venir. Elle parlait du projet d'agrandissement de l'aéroport. Lorsque nous étions ensemble, nous parlions énormément, de tout, de rien, ce qui incluait la politique.
Et elle m'avait mentionné ce projet d'agrandissement, qui allait être plus difficile que prévu après certains rapports d'experts qu'elle n'avait pas dévoilé. L'Etat se montrait réfractaire d'un tel agrandissement, coûteux. Cela n'était pas la fin du projet mais une vraie remise en cause.
Cependant c'était un axe important de campagne, qui avait été inclus dans le programme de Luc, au risque de ne pouvoir le réaliser par la suite. En omettant de mentionner les difficultés possibles. De le pure tactique politicienne.
Philippe, qui était farouchement contre pour des raisons écologiques, avait abordé le sujet entre nous: " Elle va marquer des points sur ça, elle va dire que c'est sa réalisation, blablabla ... ". J'étais intervenue, spontanément, mettant en avant la possibilité que cela ne se fasse jamais. Je n'avais rien dit de plus, j'avais juste glissé à Philippe l'idée de fouiner son nez dedans pour voir ce qu'il en était.
Et il avait eu échos de ce rapport, en bon journaliste qu'il avait été.
Il avait donc inclus cet argument dans son discours de la veille mettant quelque peu Louise en porte à faux.

" Je suis certaine que c'est toi qui lui a dit tout ça ! "

Louise ne parvenait plus à garder ses nerfs.

" Il a cherché, il a trouvé, c'est un journaliste Louise ! "

Son regard était en feu.

" Je te jure Emma, tu n'aurais pas du rentrer la dedans ... A dans une semaine ... "

Elle tourna les talons, fulminant.
Je peinais à respirer, choquée par la violence de sa réaction.
Dans une semaine, j'allais la revoir, pour le débuts des grands débats publiques entre listes.
Dans quel jeu étais je rentrée ?

Madame la MaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant