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La grande horloge parisienne retentit lorsque dix-neuf heures sonnent. Debout face à l'entrepôt silencieux et plongé dans l'obscurité, j'inspire une dernière bouffée d'oxygène avant de prendre mon courage à deux mains en pénétrant dans ce lieu délaissé depuis trop longtemps. Trois ans. Peut-être plus désormais. Triste notion du temps. Néanmoins, je reconnais chaque recoin, chaque détail et chaque obstacle de ce lieu familier et inchangé. Le temps ne semble rien avoir emporté. Le kiosque correspond à une pièce assez vaste au troisième étage, l'ancien repère de mon frère. Frère, souvenir, inconnu, ennemi juré ; caméléon et trompeur. Comment le nommer ?

Pourtant, je n'ai commencé à exploiter ses lieux que quelques mois avant le départ prématuré de mon frère. L'annonce de sa mort ; le déclencheur de ma descente aux enfers. Je n'ai oublié aucun détail de cette tragique journée, sans doute la pire de ma vie. Et il m'arrive encore d'en avoir de viles sueurs froides quand l'espoir me quitte. Il n'est peut-être pas mort physiquement, en fin de compte mais son esprit n'est plus. Le frère que j'ai tant chéri n'est plus. Trois ans. On a pas idée à quelle vitesse le temps file.

J'emprunte les trente-six marches qui me séparent de l'annexe et qui me rapproche de cette affrontement trop longtemps reporté. Les obstacles ont été nombreux. Est-ce que tout ça en vaut la peine ? Lorsque je pousse la lourde porte en bois, la lumière tamisée provenant de plusieurs lampes de chevets éclaire joliment la pièce agencée avec goût. Il y a toujours quatre fauteuils en cuir rectiligne, le bureau blanc immaculé et la silhouette d'Aaron qui surplombe l'ensemble des meubles. Ses yeux sont rivés sur la Tour Eiffel splendide que nous offre cette vue paradisiaque. Elle surplombe une grande partie de la ville qui, à cette distance semble encore plus imposante que jamais. Impossible de contrôler les battements de mon cœur qui s'affolent et se bousculent.

Je prends mon courage d'une poigne de fer et concentre toute mon attention sur la silhouette qui me fait face. Il a une carrure encore plus impressionnante que par le passé, des épaules carrés et ses cheveux sont plus longs que dans mon souvenir. Il porte un costume noir deux pièces et de la fumée émane de sa forme qui joue avec l'obscurité de la nuit et la clarté de la lumière superficielle. J'ai partagé ma première cigarette, mes moments de folie, mes premières peurs, mes rires et mes premiers doutes avec lui. Mon sang, mes rêves et mes déboires. Une part à part entière de ce que je suis devenue grâce ou, à cause de lui.

- Bonsoir, petite sœur.

Lorsqu'il pivote pour me faire face, je suis frappée par les traits fatigués et éteints de son visage. Une barbe de plusieurs jours qui assombrit d'avantage son terne visage. La petite lueur espiègle dans ses yeux brillent toujours avec la même intensité mais l'intégralité de son visage souligne une fragilité que je ne lui connaissais pas. Peut-être que si ? Je ne me rappelle plus. Je ne l'ai jamais vu à un tel stade avancé de précarité. Il souffre le martyr, j'en suis persuadée. Que lui est-il arrivé ?

- Aaron.

Un léger sourire apparaît sur ses lèvres alors qu'il fait un pas dans ma direction tout en gardant une certaine distance, comme s'il cherchait à m'apprivoiser de nouveau. Et aussi étrange que cela puisse paraître, je ne ressens plus aucune crainte, plus aucune perte de contrôle. Apaisée. Après tant d'années je suis apaisée.

- Est-ce que Easton va bien, Ron ?

Un nouveau sourire apparaît sur ses lèvres, un sourire triste qui s'accorde avec ma voix dénuée de bonheur. J'ai l'impression qu'à l'instant même où j'oserais hausser le temps, il se dématérialiserai sous mes yeux.

À L'AUBE DE NOS ERREURS [NEKFEU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant