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Le temps se fige, le brouhaha citadin ne me revient même plus dans les oreilles, le silence est d'or. Il a planté ses rétines dans les miennes et pendant une éternité nous nous contemplons en silence ; seul le souffle de nos deux respirations respectives subsiste. Je ne pèse pas le pour et le contre de cette réalité, aucune pensée ne me vient pendant cinq bonnes minutes. Je suis la première à rompre le contact visuel, toute mon attention irrémédiablement attirée par la distance infini qui me sépare du bitume en contre-bas. Je n'ai nullement l'intention de sauter ; je ne connais pas encore le fin mot de l'histoire.

- Que s'est-il passé, East ?

Je parle d'une voix si basse que je ne suis même pas certaine qu'il ait entendu ma requête. Et il lui faut un certain laps de temps pour reprendre la parole d'une voix quasi enrouée, éteinte : douloureuse.

- Lorsque j'ai compris qui était responsable de la mort de ma mère, je me suis rendu chez vous ; la même adresse depuis des années, ils n'avaient même pas trouvés bon de se cacher après toutes ces atrocités commises. Une immense maison à l'écart de la ville, loin de toute visibilité et pourtant si imposante.

- Je me rappelle de cette maison ; j'étais la première à m'y perdre avec ses quatre étages et son sous-sol conséquent. La façade était en vieilles pierres rougeâtres, je n'ai jamais compris ce choix ; n'importe qui s'égarant dans cette forêt aurait été attiré par cette couleur criarde, j'interviens d'une voix lointaine.

Du coin de l'œil, je remarque son hochement de tête presque imperceptible.

- J'avais seize ans à l'époque, je ne savais pas ce que j'étais sur le point de commettre ; bien sûr la pensée de la vengeance a été plus forte que tout et elle m'a hanté l'esprit jusqu'à me pousser à me rendre là-bas mais une fois sur place je n'étais plus sûr de rien. Qu'est-ce que j'étais sur le point de faire, franchement ?

Il allume une énième cigarette, ce qui me permet de voir ses mains qui tremblent sans relâche et les sueurs froides sur chaque parcelle visible de sa peau. Et je suis si angoissée.

- Je t'en prie East, dis-le moi, je relance en fourrant les mains dans mes poches alors que je perds sérieusement patience.

Je ne sais même plus dans quel état d'esprit je me situe mais j'ai moi aussi des sueurs froides et le cœur qui palpite. J'en ai presque la nausée.

- Je suis passé par la porte de derrière : cette maison, je la connaissais par-cœur. Je savais comment passer inaperçu et où trouver votre mère ; elle passait le plus clair de son temps dans les sous-sols à manigancer je ne sais quelle merde. Je n'étais pas armé, je n'avais donc pas l'intention d'aller au bout de mes pulsions, au bout de cette haine dévastatrice qui me hantait depuis tant de semaines. Lorsqu'elle m'a remarqué, une lueur de crainte à surgit dans ses yeux dorés, comme si elle m'avait toujours attendu et qu'elle savait ce que je m'apprêtais à faire alors que moi-même je l'ignorais. Je lui ai posé la question qui me brûlait les lèvres et elle n'a eu aucun scrupule à répondre par l'affirmatif, se vantant même d'avoir commis une chose aussi affreuse ; d'après elle, ma mère méritait son sort, elle n'était rien de plus qu'une fille de joie. Et puis la crainte a cédé à cette lueur malsaine qui l'avait toujours caractérisé ; ça m'a complètement fait péter les plombs. J'ai commencé à hausser le ton et à balancer chacune des affaires qui se trouvaient dans la pièce mais elle ne bougeait pas, putain. Jusqu'à ce qu'elle se précipite sous le bureau et dans mes plus lointains souvenirs je savais qu'elle cachait toujours une arme à porter de main, toujours prête à dégainer à la moindre difficulté. Je n'ai pas réfléchis en voyant une autre arme à feu poser sur le bureau, à quelques centimètres à peine de moi ; on a dégainé en même temps et, le coup de feu est parti, c'était elle ou moi, Asa. Une balle dans la tête, putain. Je n'avais jamais utilisé l'une de ces saloperies auparavant et lorsque j'ai vu son corps inerte sur le marbre froid j'ai immédiatement paniqué et j'ai fait marche arrière, je me suis barré. Après ça j'ai enchaîné les nuits blanches, incapable de trouver le sommeil ; son visage me revenait constamment en tête, ça me hantait. J'ai pris le peu d'affaires qu'il me restait et je me suis tiré de cette foutue ville. Aaron n'a pas tardé à me retrouver et je savais quel sort il allait me réserver, je savais qu'il allait me buter.

À L'AUBE DE NOS ERREURS [NEKFEU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant