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Je fais les cents pas sur la terrasse, fumant ma troisième cigarette depuis que je me suis réveillée en sueurs quelques minutes plus tôt et ce malgré mes béquilles plus qu'encombrantes. Le jour n'est pas encore là, il doit être aux alentours de trois heures du matin et les températures ne doivent pas avoisiner plus de six degrés. Malgré mon simple pull en laine et mes jambes dénudées je ne ressens même pas le froid, je suis bien trop énervée pour ça. En fait, je fulmine de l'intérieur et les questions s'accumulent. La photo de mon frère et de cet inconnu hante ma mémoire, j'ai envie de vomir ou simplement de me jeter par-dessus bord, je ne sais plus. Est-ce qu'une famille telle que la mienne aurait un si lourd secret à son actif ? Et si c'est réellement le cas, que m'ont-ils caché d'autre depuis plus de vingt ans ? Je bouillis de l'intérieur. Ma dernière conversation avec Nathaniel me hante à son tour : il n'avait que Easton en bouche. Easton que je n'ai pas vu depuis notre dernière altercation, Easton qui ne supportait pas mon frère. Easton que je connais depuis toujours. Mon sang ne fait qu'un tour et la réalité me saute au visage, me fouettant de plein fouet. Une fois encore je repense aux trois photos et au même âge évident que les deux petits garçons partageaient.

- Putain, je lâche en balançant mon mégot dans le vide alors que j'entre à nouveau dans l'appartement avec empressement.

La colère prend possession de chaque parcelle de mon corps et je me précipite dans la chambre dans le but d'enfiler des vêtements plus décents lorsque je me stoppe nette. Ken dort profondément et en tendant l'oreille, je remarque sa respiration calme et régulière. Un profond sommeil. Je peux facilement me vêtir sans le réveiller et mieux vaudrait parce que s'il en était autrement, je doute fort qu'il me laisse traîner dans les rues parisiennes à une heure si tardive. En quelques secondes, j'enfile un bas de survêtement et ajoute à ma tenue un long manteau crème. Je rassemble ensuite le strict nécessaire dans mon sac à dos et quitte la pièce en lançant un dernier regard au brun, si paisiblement bercé par sa propre respiration. Je ne le mérite pas. Je ferme doucement la porte, enfile des baskets et quitte l'appartement en trombe. Une fois dans la rue, je frissonne à cause du froid évident et extirpe un bonnet de mon sac que je viens visser sur ma tête. Une chance que cette ville ne dorme jamais, je peux donc aisément accoster le premier chauffeur d'Uber que je croise. Après une certaine négociation, il accepte de me conduire jusqu'à l'adresse choisit et je lui promets de lui payer le double de la course pour sa gentillesse et le prolongement de sa tournée.

Dix minutes plus tard, je lui tend les billets, le remercie et quitte le cocon réconfortant de la voiture avant de faire face à l'immense immeuble qui se dresse devant moi. Je n'ai pas décoléré au contraire, ça n'a fait que s'accroître et c'est plus inconsciente que jamais que je balance mes béquilles, ne les supportant plus. Je choisis de prendre l'ascenseur qui me conduit jusqu'au sixième étage et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je me stoppe devant la porte en bois, numéro 62. D'abord, je frappe avec violence contre le bois, me moquant bien de me bousiller le poing mais rien ne se passe. J'appuie donc longuement sur la sonnette et recommence à frapper contre la porte. Toujours rien. Très bien, il veut jouer à ça ? Je n'en démord pas. Je farfouille quelques secondes dans mon sac et finit par tomber sur le double des clés avant de l'insérer dans la serrure. L'odeur de renfermée me fait grimacer, j'actionne donc rapidement la lumière et reste abasourdie par la scène qui me fait face : tous les meubles ont disparu. La panique s'empare de moi et je vadrouille entre les différentes pièces mais toutes sont vides. Tout comme les placards, tous comme les murs où toutes photos et peintures ont disparu. Plus aucune trace de son passage. Plus aucune trace de sa vie passée ici.

- Putain de merde, je lâche avant d'extirper mon portable de ma poche.

Je compose son numéro mais les tonalités résonnent sans aucune réponse. J'essaye encore une fois et une insupportable voix finit par retentir : « Le numéro composé n'est pas attribué, votre appel ne peut donc pas aboutir ». Je me laisse tomber sur le parquet froid, complètement démunie face à cette nouvelle réalité. Easton est parti et je n'ai plus aucun moyen de le contacter. Je ne réalise pas tout de suite que les larmes perlent sur mes joues, si ce n'est quand je n'arrive même plus à distinguer la pièce face à moi. Une autre réalité s'offre à moi et malgré ma frustration, je devine que j'ai touché du bout des doigts le problème. Je réalise que sa fuite n'est que la preuve de mon bon raisonnement et que d'une façon ou une autre, il est lié à la mort de Aaron. Et si mes soupçons sont fondés et que Easton est le frère d'Aaron, il est logiquement le mien aussi. Je lâche un rire nerveux en réalisant ce raisonnement parce que tout ceci est absurde. Plus de vingt ans que je le côtoie et il s'agirait en fait de mon second frère ? C'est impensable. J'essuie rageusement mes larmes et compose le numéro de Nathaniel mais là encore, les tonalités se suivent mais rien ne se passe. C'est un véritable cauchemar. Je sens les battements de mon cœur s'affoler et la honte me gagner. Parce que si Easton a tué mon frère, son propre frère, notre frère ça dépasse l'entendement et je serais incapable de vivre avec ça. Je prends mon visage entre mes mains, secoue plusieurs fois la tête et pince ma peau : je veux me réveiller, je veux sortir de cet enfer. Les moments partagés avec celui que je pensais être mon meilleur ami défilent dans mon esprit souillé ; sa façon de me regarder, sa protection frôlant l'obsession, ses crises de colère à répétition, nos prises de tête violentes mais toujours suivies de réconciliations constantes. Est-ce réellement possible ? Et puis, je repense à ses avances indécentes et la nausée me gagne. Je me précipite le plus vite possible dans les toilettes et régurgite mon dernier repas. Je me redresse à demi assommée suite à cet incident et rencontre mon pâle reflet dans la glace.

À L'AUBE DE NOS ERREURS [NEKFEU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant