39%

2.8K 150 2
                                    

Je fais les cents pas dans cette chambre que je côtoie depuis trois semaines, minuit sonne annonçant une nouvelle journée d'une perte de temps indéfinissable. Les paroles des spécialistes hantent encore mon esprit : « Vous souffrez d'une sévère dépression Mademoiselle Ells », « Il vous faut du repos », « Vous devez affronter la source de vos angoisses dès que vous vous sentirez prête », « Le passé appartient au passé, tournez la page, maintenant ».

Je balance la chaise en bois à travers la pièce, ne m'attardant pas sur le bruit causé, ni sur la porte qui s'ouvre brutalement. Une psychiatre apparaît dans l'encadrement de la porte, je ne réfléchis pas une seconde et la bouscule pour me frayer un passage jusqu'à la sortie de l'institut. Je suis dépourvue de mes affaires personnelles, ce qui signifie que je n'ai ni téléphone, ni papier mais, ça m'importe peu. Deux semaines que je n'ai pas revu Ken depuis que j'ai été transférée à mon insu dans ce centre psychiatrique où je n'ai définitivement pas ma place. Il ne sait même pas que je suis confinée ici, il a dû partir pour assurer ses dates qui s'étendent sur deux mois entiers. Il ne voulait pas partir, il refusait de me laisser seule après cette foutue tentative de suicide mais j'ai été extrêmement persuasive. Je déambule dans les couloirs, une chance que je sois dans l'aile la moins surveillée puisqu'elle ne contient pas de patients gravement malades, ici il s'agit du centre dit « Centre de la dépression » et à vouloir tuer l'ennui qui me rongeait depuis tout ce temps j'ai énormément observé les allés et venus des professionnels.

J'emprunte immédiatement les sorties de secours, je planifie cette escapade depuis plusieurs jours parce que si je reste une minute de plus ici, je vais vraiment devenir folle. Je manque de trébucher en parvenant à ouvrir la porte mais ma volonté de liberté est plus forte que tout et je suis remarquablement efficace. En moins de cinq minutes, j'escalade les grilles de hauteur moyenne et parvient de l'autre côté où je ne perds pas une seconde pour détaler à travers la forêt. Les premières minutes, je suis déboussolée, je ne sais pas réellement où je vais mais, rapidement, je repère un panneau qui indique « Paris, 5 km ». Honnêtement je ne cherche même pas à faire du stop, préférant alterner entre marche et course ; ça me fait un bien fou d'être complètement libre de mes faits et gestes. Je regrette de ne porter qu'une simple robe en coton en ce mois de février glacial mais qu'importe ça ne m'arrête pas.


Lorsque j'arrive enfin dans les rues de ma ville natale, je ressens un soulagement que je ne peux qualifier. Je suis morte de froid, j'ai des courbatures intenses et l'horloge murale sonne les coups de deux heures. C'est à bout de forces que j'entre dans un bar que je connais bien et que je sais ouvert une grande partie de la nuit, à peine ais-je franchi le seuil de la porte que j'accoste le barman qui m'indique un téléphone derrière le bar. Je le remercie rapidement et m'y précipite avant de composer un numéro que je connais par-cœur. Je ne suis pas certaine d'avoir une réponse mais je ne perds pas espoir même après la septième tonalité et, lorsqu'il décroche enfin, je suis presque prête à fondre en larmes mais, je me retiens.

- Allô ? J'entends sa voix endormie.

Je me mords la lèvre, culpabilisant déjà de l'avoir réveillé mais entendre le son de sa voix me procure un tel soulagement que je suis dans l'obligation de me glisser contre le mur jusqu'à atteindre le sol, le combiné collé à mon oreille, je refuse de le lâcher.

- Ken ?

- Asa, bon sang est-ce que tout va bien ?! Dit-il d'une voix inquiète.

J'acquiesce bêtement de la tête, il ne peut pas me voir je le sais mais les mots restent un instant bloqué dans ma gorge nouée.

À L'AUBE DE NOS ERREURS [NEKFEU]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant