1.1. Old Smoke.

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« Il est cinq heures du matin, et vous vous trouvez sur... »

Elena ne laissa pas l'occasion à l'insupportable présentateur et sa voix faussement enjouée - personne n'était d'aussi bonne humeur le matin - de terminer sa phrase. Sa main vint chercher le bouton d'arrêt de la radio posée sur sa petite table de nuit et l'éteignit d'un geste sec avant de retourner sous ses couvertures, les yeux fermés afin de se dissimuler au défilement du temps.

Déjà l'heure de se lever et de se préparer ! La tête enfouie sous son oreiller, Elena pouvait presque prétendre que le monde extérieur n'existait pas. Seule demeurait la chaleur de ses draps ainsi que ses efforts désespérés pour se replonger dans ce rêve si torride et captivant.

Ce dernier impliquait la présence d'un homme qui ressemblait vaguement à ce professeur de mathématiques du lycée, pour lequel elle craquait en silence. Enfin, plus si secrètement depuis que Brooke l'avait hurlé dans l'euphorie de la fin de leurs études secondaires.

Devant l'enseignant. Sans doute le moment le plus gênant de toute sa vie...

Mais dans son rêve, Elena n'avait honte de rien. Les limites n'avaient plus leurs places dans son esprit tourmenté ; elle se permettait les attitudes les plus délurées pour envoûter ce beau jeune homme à la musculature parfaite et définitivement sexy qui la dévorait du regard, tandis que ses mains parcouraient sa peau nue. Ses doigts glissaient le long de son ventre, de plus en plus bas...

- Lenaaa ! cria une petite voix aiguë.

Malédiction. Voilà que la réalité se mettait à toquer à sa porte ! Comme si elle n'en avait pas déjà assez avec les amants éconduits de Brooke ! Grognant et pestant contre le Ciel qui refusait obstinément de lui laisser quelques minutes de plaisir onirique, la jeune femme parvint enfin à sortir de son lit, étirant son long corps mince afin de se réveiller plus rapidement.

- J'arrive, Noah !

Elle posa un pied par terre, et grimaça. La fraîcheur du parquet lui piquait les orteils ! Elle devait vraiment songer à appeler le propriétaire de l'appartement pour faire changer le chauffage. Ou écrire un mot à Brooke afin que celle-ci s'en charge.

Cette dernière exerçait le métier de pâtissière dans un petit restaurant modeste du Grand Londres. Peut-être que si elle avait eu plus d'économies pour se payer des études dans une école renommée, Brooke aurait pu espérer une véritable carrière dans la gastronomie. Mais ses parents appartenaient à la classe ouvrière, tout comme ceux d'Elena, et ils ne lui avaient pas laissé grand-chose. Si Elena plaignait sincèrement son amie de ne pas avoir réussi à trouver une place plus prestigieuse grâce à son talent, la jeune femme profitait du peu de temps libre qu'il lui restait pour dévorer ses gâteaux. Chaque fois qu'elle rentrait, une bonne odeur de sucre réchauffait constamment l'ambiance et le cœur des trois habitants.

Et au moins, Noah respirait le bonheur. Rien n'avait plus d'importance que le sourire que de ce petit bout de chou.

Celui-ci apparut justement dans l'embrasure de la porte. Haut comme trois pommes, le minuscule bonhomme de six ans affichait un lien de parenté indéniable avec Elena. Les mêmes pommettes saillantes, les mêmes cheveux clairs et des yeux en amande. Si ceux d'Elena étaient ambrés, d'un beau mordoré, comme ceux de leur défunt père, ceux de Noah étaient très bleus, comme leur mère. Ensommeillé, l'enfant bailla et se frotta les paupières avec sa petite main. Elena ne put s'empêcher de le trouver terriblement craquant.

Elle s'approcha de lui, les poings sur les hanches, et l'air indûment fâché.

— Jeune homme, ne sais-tu pas que c'est incorrect de regarder une dame juste après son réveil ?

— Mais toi tu n'es pas une dame, répliqua innocemment le garçon. Tu es ma Lena !

« Quel ange, songea Elena tandis qu'elle l'observait filer à la cuisine. C'est tellement injuste ce qu'il endure. »

Elle le rejoignit dans la pièce attenante au minuscule salon. L'immobilier hors de prix de Londres avait forcé Brooke et Elena à se résigner à cet appartement exigu. Leur tribu y vivait un peu à l'étroit, mais Elena s'y était acclimatée. De toute façon, cette dernière ne restait presque jamais à la maison, naviguant entre l'hôpital, l'école de Noah et son travail.

Mais cette fois-ci, Elena et Brooke nourrissaient l'espoir de louer un logement plus adapté à leur petite famille. La jeune femme avait enfin fini par trouver un emploi à la hauteur des études pour lesquelles elle avait presque tout sacrifié. À vingt-quatre ans, Elena possédait déjà le statut de célibataire endurcie quand les personnes de son âge se laissaient aller à des romances épisodiques, des amours sans lendemain ou des passions pour l'éternité.

— Tu peux me cuisiner des pancakes ? demanda joyeusement Noah en s'installant sur la chaise.

— Bien sûr mon cœur, mais n'oublie pas que tu ne peux pas trop en manger. Il te faut des protéines pour prendre de l'énergie...

— J'vais devenir aussi fort que Popeye ! claironna le gamin avec entrain tandis que sa sœur sortait les ingrédients nécessaires à la préparation.

Il essaya de contracter ses petits muscles pour le lui prouver, mais sa constitution fragile ne le permit pas. À cette vision, le cœur d'Elena se serra, mais son visage s'éclaira d'un sourire. Pour Noah, un moment de faiblesse se révélait inenvisageable.

— Tu vas être le garçon le plus fort du monde !

Elena commençait à préparer la pâte, lorsqu'une porte sur sa droite s'ouvrit lentement. Échevelée et pâle, les traits tirés et les cernes marbrant sa peau, Brooke leur adressa un signe de la main. La lumière jaune du salon aveuglait les iris cannelle de la jeune femme.

— 'lut, bâilla-t-elle d'une voix rauque.

— Tu as l'air d'un cadavre, commenta Noah, dynamique.

— Quel encouragement, dis donc, souligna Brooke tandis qu'elle s'asseyait - ou plutôt, se laissait tomber sur sa chaise.

— On a encore trop fêtardé hier soir ? la taquina Elena en glissant vers elle un regard malicieux.

Devant son petit frère, Elena évitait d'employer les mots crus tels qu'elle l'aurait fait seule avec Brooke. Cette dernière comprit parfaitement où son amie souhaitait en venir, et passa une main fébrile sur son visage.

— Ce n'était pas très concluant, avoua-t-elle en ébouriffant affectueusement les cheveux de Noah, bien sage sur sa chaise. Publicité mensongère.

— Toi, au moins, tu as quelque chose à te mettre sous la dent !

— Les rues de Londres regorgent de petites pépites, Mademoiselle Charles, murmura ironiquement Brooke.

— L'ennui, c'est que je ne suis pas chercheuse d'or. Juste secrétaire !

— Au siège d'Anderson Luxury ! souligna Brooke, toute émoustillée à cette idée.

Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant