19.6 - Lovers in Paris

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La musique avait finalement fini par s'arrêter, et les jeunes femmes s'écartaient les unes des autres, certaines courbant le dos pour soulager leurs courbatures, d'autres ôtant leurs chaussures avant de rejoindre les coulisses sous les injections de la rouquine, ses yeux lançant des éclairs derrière ses lunettes carrées.

— Mademoiselle Julienne est en charge du défilé, expliqua Madame Castellane tandis que sa collègue interpellait plusieurs mannequins. Elle s'occupe de la musique ainsi que de la chorégraphie.

— De la chorégraphie ? releva Harold, un sourcil froncé.

— Nous souhaitons donner à la dimension artistique du défilé toute son ampleur, répondit-elle avec une certaine emphase. Peut-être désirez-vous vous entretenir avec elle ?

— Nous n'avons pas tellement le choix, maugréa discrètement Travis tandis qu'ils suivaient Madame Castellane, si bas que seuls Benjamin et Elena réussirent à l'entendre.

Ceux-ci eurent un maigre sourire avant d'échanger un long regard lourd de sens. Elena détourna les yeux, mal à l'aise à l'idée que Benjamin ne décide d'évoquer cette situation embarrassante. Commençait-elle à regretter de s'être confiée à ce qui s'apparentait le plus à un ami dans cette mare d'hommes d'affaires, de manipulations et de narcissisme ?

Et cet appel de Brooke, deux heures auparavant, ne cessait de la tourmenter. Qu'en était-il de Noah et de son traitement ? Que pouvait bien manigancer sa meilleure amie ? Si Elena avait toute confiance en elle, la jeune femme savait également que sa colocataire n'était pas non plus la personne la plus responsable au monde...

Arrivés au niveau de Madame Julienne, Elena vit ses pensées lui échapper lorsque la voix sèche de Madame Castellane brisa le silence, provoquant une fois de plus un respect et une admiration chez William Anderson qui surprit la jeune assistante.

— Alexandra, je vous présente Messieurs William, Harold et Travis Anderson, ainsi que leurs assistants, Benjamin Carmichael et Elena Charles. Messieurs Anderson voudraient s'entretenir avec vous au sujet du défilé.

— Enchantée, Messieurs, les accueillit-elle avec un très fort accent français, sans prendre la peine de les regarder. Je vous aurais bien serré la main, mais c'est la panique ici, je ne sais plus où donner de la tête.

— Que se passe-t-il ? Vous n'êtes pas capable de gérer une vingtaine de jeunes femmes sans qu'un problème n'apparaisse ? s'enquit William d'une voix glaciale qui aurait fauché sec les jambes d'Elena.

Alexandra Julienne, au contraire, se redressa de toute sa hauteur que lui permettait sa petite taille. Vêtue d'une longue robe noire et chaussée d'escarpins, légèrement plus ronde que Madame Castellane, la silhouette moins rigide, elle n'en dégageait pas moins une aura d'autorité et de puissance qu'Elena avait rarement sentie dans l'entourage des Anderson. La jeune femme se sentit minuscule face à elle lorsqu'elle rétorqua avec une véhémence qui cloua même Travis et Harold sur place.

— Si Monsieur me considère comme une incapable, je l'invite à sortir de son office pour organiser lui-même le défilé afin d'éviter toute déception.

William fut tellement étonné la verve de Mademoiselle Julienne, qu'il ne répondit pas, remarquant à peine le mince sourire qui s'étalait sur les lèvres de Madame Castellane, le rire étouffé de Travis, et la toux soudaine d'Harold. Ne sachant que répondre, il se contenta d'incliner la tête avec une certaine sécheresse puis se tourna vers ses fils, immobiles.

— Dites-nous plutôt ce qui vous cause tant de soucis, invita gentiment Benjamin, dissimulant le malaise qui s'installait insidieusement dans l'estomac des uns et des autres.

Après un dernier regard insolent adressé à William Anderson, la rouquine détourna la tête et inspira longuement.

— Eh bien, la jeune femme qui devait porter la pièce phare de votre collection est injoignable depuis plusieurs heures et nous avons besoin de sa présence afin de faire les derniers réglages de mise en scène pour le défilé.

— Pourquoi n'utilisez-vous pas un substitut parmi les autres mannequins ? interrogea Harold tandis que Mademoiselle Julienne réajustait ses lunettes carrées.

— Impossible, répondit celle-ci. Toutes les jeunes femmes ont un rôle précis sur scène et j'ai besoin de toute l'équipe au complet pour finaliser le travail.

Elena grimaça en son for intérieur, mal à l'aise et embêtée. Elle ne rêvait que de s'absenter le plus tôt possible afin de rappeler Brooke, inquiète quant à cet appel, et les complications n'auguraient rien de bon. Connaissant Travis et son père, ces derniers allaient se montrer intraitables si une solution n'était pas rapidement trouvée, et Elena devait à tout prix réfléchir à son entrevue avec Marco, prévue pour le lendemain.

Quelle excuse allait-elle pouvoir inventer afin de fausser compagnie à Travis pour rejoindre le Café de Flore ? A quoi devait-elle s'attendre ? La dernière fois que Marco et elle s'étaient adressé la parole, la jeune femme lui annonçait son désir de le quitter. Comment allait-il réagir en la revoyant ?

— ... pourrait faire l'affaire, qu'en dites-vous ?

— Je trouve que c'est une excellente idée !

— Elena, ton avis sur la question ?

— Hum ?

La voix de Travis l'arracha soudainement à ses pensées, et la jeune femme secoua légèrement la tête, apercevant alors le visage des quatre hommes, de Madame Castellane et de Mademoiselle Julienne qui la dévisageaient avec intérêt de la tête aux pieds. Les yeux de Travis la transperçaient si forts qu'elle en avait presque mal.

Prise au dépourvu, la jeune femme haussa les épaules et fit un sourire hésitant, ses doigts se perdant dans les mèches de ses cheveux.

— Euh... oui, oui, bien sûr, c'est vraiment bonne idée, approuva-t-elle avec conviction.

Mademoiselle Julienne claqua des mains, un sourire illuminant son visage tendu et crispé jusqu'alors, tandis que Travis continuait de la dévisager. William Anderson leva les yeux au ciel, et souffla.

— Bien, Mademoiselle Charles, allez sous la tente pour vous changer tandis que nous continuons la visite.

— Comment ?

— Par ici, Mademoiselle, lui enjoignit Alexandra Julienne tandis qu'Elena lançait un regard à la fois désespéré et perdu vers Travis.

Il fit un signe de la main en direction de Mademoiselle Julienne, et les deux jeunes femmes s'arrêtèrent.

— Père, ne vaudrait-il pas mieux que l'un d'entre nous reste pour assister à la prestation d'Elena ? intervint ce dernier sans tenir compte de son assistante dont les joues rougissaient à vue d'œil.

William considéra son fils un instant, et Elena se mordit discrètement les lèvres, se morigénant d'avoir acquiescé à la demande de son patron sans savoir ce qu'elle acceptait. Elle arrivait à peine à tenir debout sur des talons !

— Je veux dire que ce serait certainement plus intelligent que l'un d'autre nous reste pour observer le défilé et superviser les réglages auprès de Mademoiselle Julienne, tu ne penses pas ?

— Je peux me proposer pour rester, interrompit Harold avec un sourire innocent.

— C'est plutôt à moi d'observer ce défilé, tu ne crois pas ? releva Travis, un sourcil arqué, croisant les bras dans un geste de supériorité. Je te rappelle qu'Elena est mon assistante. C'est quoi ton excuse, à toi ?

— Cette visite commence à me fatiguer, et je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit, souffla l'intéressé, las de s'expliquer.

— Pourquoi ? ironisa Travis, un masque de pierre se peignant sur ses traits. Qui est donc la jeune femme qui a pu te tenir éveillé toute une nuit ?

Harold le toisa d'un air mauvais, sourcils froncés en guise d'avertissement tandis qu'un rictus s'étalait sur les lèvres de son cadet. Benjamin, quant à lui, glissa un regard de reproche vers Elena, toujours immobile à une mètre des quatre hommes, lui signifiant qu'il avait compris. Elle déglutit.

Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant