19.4. Lovers in Paris

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Il la contempla avec tout le mépris dont il était capable, vrillant sur elle des yeux remplis de flammes brûlants et vivres comme Elena n'en avait jamais vues ailleurs. Le visage du sien s'était approché du sien si rapidement et pourtant si subtilement que la jeune femme ne s'en était même pas aperçue jusqu'à ce que le souffle chaud et saccadé de Travis ne caresse ses joues. Sa main lui serrait le poignet et son expression de défi la troubla, et elle déglutit. La prise de Travis se raffermit sur son poignet en constatant son absence de réaction.

- Tu restes sans voix ? C'est normal. Ne vas pas croire que parce que tu vis avec nous, tu es au courant de tout ce qu'il se passe dans cette foutue famille.

- Travis...

Il s'écarta à peine d'elle, et son visage se transforma légèrement, les flammes s'éteignant aussi vite qu'elles étaient apparues. Libérant son poignet, il expira doucement, fermant brièvement les yeux.

- Sais-tu ce que cela fait, Elena ? murmura-t-il. D'être toujours rabaissé, comparé sans cesse à quelqu'un de plus brillant que toi malgré tous les efforts que tu peux faire pour maintenir le cap aussi parfaitement que possible ? Harold possède une intelligence et un sens des affaires que j'effleure à peine, si j'en crois mon père... Il est celui qui correspond parfaitement aux attentes familiales, et moi, le dépravé, lâcha-t-il difficilement, le regard dans le vide.

Elena garda le silence, remarquant à peine qu'elle se tordait les doigts tant l'éloquence de Travis, ainsi que l'étrangeté de la situation la mettait mal à l'aise. La jeune femme ne serait jamais attendue à partager cette première confidence à l'arrière d'une voiture - en réalité, la jeune femme n'aurait jamais soupçonné qu'il lui livrerait de tels secrets.

Travis détourna le regard vers la fenêtre, pensif, et Elena se mordit la lèvre, inspira, expira, et osa poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis des semaines.

- Est-ce que ça à un rapport avec ta mère ?

Il haussa les épaules à la simple évocation de sa génitrice, abattu, toujours sans se tourner. Elena l'observa avec attention, mais elle ne vit aucune émotion, pas la moindre pointe de colère ni de nostalgie voiler les traits de son visage ; Travis se contenta simplement soupirer avec lassitude.

- Et si c'était le cas, cela changerait-il quoi que ce soit au mépris que tu as pour moi ?

- Non, mais...

Il l'interrompit, ouvrant la portière avec fermeté, sans lui accorder le moindre regard. Impassible, l'expression de son visage de nouveau durcie, sa voix cassante retentissant à ses oreilles.

- Sors de là, et plus un mot si cela ne concerne pas le travail.

Nerveuse, Elena hocha la tête et Travis lui tendit la main, réprimant un petit sourire narquois de satisfaction. Lorsque leurs peaux se touchèrent, un frisson parcourut Elena, auquel elle coupa bien vite court en retirant sa main dès qu'elle fut hors de la voiture, refusant de laisser Travis s'y attarder et l'observait plus longuement.

Les joues rougissantes, le regard fuyant trahissant son sentiment de culpabilité, elle s'éclaircit la gorge.

- Qu'est-ce que nous sommes censés faire ?

- Pour commencer, répondit Travis en se mettant en marche, nous allons rejoindre mon traître de père, Harold, et le reste du personnel. Ils sont sûrement à l'intérieur, précisa-t-il en désignant un bâtiment sur le trottoir en face d'un coup de tête.

La jeune femme déglutit tandis qu'elle suivait Travis, admirant silencieusement l'édifice qui lui faisait face. Immense, dans une pierre d'une blancheur immaculée taillée selon le style haussmannien typique, il capturait l'œil des passants, détonnant parmi les bâtiments grisâtres et fades. Orné de fer forgé depuis le portail, aux poignets de portes et aux ornements de fenêtres, le jeune homme s'arrêta subitement alors qu'il allait en franchir le seuil, manquant de faire tomber Elena à la renverse.

Lentement, le patron se tourna vers la jeune assistante, une expression sérieuse sur le visage.

- Ecoute... Quoi qu'il se soit passé entre Harold et toi hier soir, je veux que tu conserves une certaine discrétion, du moins aujourd'hui.

Elena fronça les sourcils, sceptique, et retint Travis par le bras alors que celui s'apprêtait à ouvrir la porte.

- Attends, tu veux de la discrétion, soudainement ? Pourquoi ?

- Ce repérage est vraiment important pour l'entreprise, il n'est pas question de tout foutre en l'air. Nous avons travaillé trop dur.

- Mais... c'est une occasion en or ! protesta Elena, incrédule.

Travis se dégagea le bras et haussa un sourcil, étonné.

- Tu penses que personne ne va se douter de quelque chose si tu restes trop exubérante, quand je suis censé t'avoir menacé de renvoi ? murmura-t-il brusquement.

La sonnerie d'un téléphone lui répondit, empêchant le silence de prendre toute son ampleur, et Elena leva les yeux au ciel, agacée par les directives contradictoires et incessantes de Travis. Ce dernier continua de la contempler avec une intensité qui troubla la jeune femme. Celle-ci était bien décidée à ne pas baisser le regard - et de toute manière, elle était incapable de se résigner à se détourner des magnifiques yeux de Travis. La sonnerie retentissait toujours, mais Travis ne réagissait pas, ignorant l'appel.

Finalement, il fut celui qui abandonna le premier leur jeu de regard, préférant finalement reporter son attention sur un point invisible à l'autre bout de la rue ; Elena, elle, le dévisageait toujours.

- Et puis, avoua-t-il, je n'ai pas envie de te voir auprès de lui.

Le cœur d'Elena rata un battement quand Travis se tourna de nouveau vers elle, les joues rougies, ses yeux passant de ses lèvres à ses iris. Une vague de chaleur l'enveloppa, et la jeune femme respira précipitamment.

- Qu'est-ce que...

Mais elle ne put finir sa phrase, désarçonnée par le regard de Travis, et la porte qui s'ouvrit à la volée au même moment sur Harold, M. Anderson et Benjamin Carmichael. Ses yeux se rivèrent instinctivement sur le sol tandis que Travis se tournait lentement, dans une superbe indifférence qui heurta Elena de plein fouet. Le trio d'hommes était mené par une femme d'âge mûr, aux cheveux blond impeccablement rassemblés en un chignon serré. Elle portait un tailleur bleu marine, et cassa le silence d'une voix stricte.

- Travis Anderson, je présume ? Vous êtes en retard !

- Je suis désolée, Madame, mais il semblerait que des informations se soient perdues en chemin, répliqua le jeune homme sur le même ton en glissant un coup d'œil rancunier à son paternel.

- N'as-tu donc jamais appris qu'arriver à l'heure, c'est arriver en avance ? fit ce dernier, acerbe.

- Madame Castellane n'a certainement pas besoin d'assisté à nos querelles familiales, intervint Harold, tranchant. Qu'en pensez-vous, Carmichael ?

- Peut-être vaudrait-il mieux privilégier les intérêts de l'entreprise.

Elena ne put s'empêcher de sourire devant la diplomatie dont Benjamin faisait preuve. Elle lui jeta un petit regard amusé auquel il répondit par un léger clin d'œil. La jeune femme s'apprêtait à emboîter le pas à Travis, qui suivait à présent Madame de Castellane et son père, lorsqu'elle intercepta l'expression contrarié sur les traits d'Harold, mains dans les poches, observant tour à tour Elena et Ben, lèvres pincés.


Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant