1.3. Old Smoke

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En l'espace d'une demi-heure, Elena se prépara à partir. Ses longs cheveux ondulés en une couette basse descendaient le long de ses reins et une jupe crayon noire accompagnait un chemisier boutonné jusqu'au ras du cou. Elle avait glissé des escarpins dans un sac pour parfaire le tout, et chaussé des baskets plus confortables pour conduire. Une légère touche de mascara et de fard à paupières beige, un rouge à lèvres rosé sur sa bouche, et le tour était joué.

Hormis sa montre et des boucles d'oreilles, elle ne portait pas de bijoux sur elle. La sobriété semblait le meilleur choix pour la jeune femme. Arrivée depuis une semaine chez Anderson Luxury, Elena n'avait pas l'intention d'attirer tous les regards sur elle, préférant opter pour la discrétion le temps de s'intégrer à son nouvel environnement.

Lorsqu'elle rejoignit le salon, Brooke et Noah étaient habillés de pied en cape, eux aussi, parés à affronter la grisaille du ciel londonien. Son amie avait dissimulé ses cheveux à l'aide d'un bonnet en laine, et chaussé des bottes pour se protéger de la pluie. Enveloppé dans son ciré jaune, le visage de Noah s'éclaira quand sa sœur apparut, prête à partir.

— T'es trop belle, Lena !

— Tu n'es pas mal non plus, rit-elle en s'agenouillant à sa hauteur pour attacher un dernier bouton.

— Tu viens, Noah ? Il faut laisser Lena aller au travail, et toi, petit monsieur, tu dois apprendre à mieux former tes lettres ! Alors, à l'école, zou ! s'exclama Brooke en poussant l'enfant dans le couloir. À ce soir, ma belle ! Je t'ai préparé une tasse de café dans la cuisine.

— Brooke, s'amusa la jeune femme, attendrie par l'attention de sa meilleure amie, tu es ma bonne étoile réincarnée.

— Je sais !

Après un baiser ironique envoyé du bout des doigts, la porte se referma sur Brooke et le petit garçon qui la saluait de la main. Elena resta pensive un léger moment en sirotant la boisson chaude. La maladie de Noah déclenchait toutes ses frayeurs nocturnes, et elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour lui. Un accident arrivait si vite... Elena ne pouvait s'abstenir de rappeler au moins une fois par semaine à ses professeurs de toujours avoir l'œil sur son frère.

Son café fini, Elena attrapa un manteau rouge, s'y enveloppa, et sortit de l'appartement qu'elle verrouilla à double tour. Il était huit heures moins vingt. Si le trafic se révélait clément, elle arriverait au travail dans quinze minutes.

La grisaille londonienne la mettait constamment de mauvaise humeur. Aussi loin que sa mémoire remontait, Elena n'avait jamais apprécié les temps de pluie, qui lui rappelaient de trop désagréables souvenirs. Heureusement, Elena connaissait Londres comme sa poche, et évita rapidement les bouchons qui se formaient non loin de son appartement, près du centre-ville. Ah ! si seulement elle avait pu vivre dans les quartiers calmes de Belgravia ou dans le South Kensington... Ses mains se crispèrent sur son volant, à mesure qu'elle roulait vers l'immense tour qui abritait le siège social de l'entreprise.

Au milieu de toutes ces personnes élégantes et puissantes aux costumes impeccables, Elena se sentait comme une tache d'encre sur une feuille parfaitement vierge. Quelques fois, elle en venait même à se demander comment cette institution du luxe avait pu recruter une fille comme elle, aux antipodes de tout ce qu'Anderson Luxury représentait. Pourtant, l'intelligence d'Elena n'était plus à prouver depuis des années. La jeune femme consacrait auparavant le maximum de son temps à ses études, et elle avait obtenu les meilleurs résultats de sa promotion. En dépit de ses compétences, Elena n'avait pas réussi à décrocher le travail idéal, se cantonnant à un poste de serveuse durant une année entière. Lassée, elle avait finalement candidaté chez Anderson Luxury sans imaginer une seule seconde avoir ses chances.

Ses pensées s'envolèrent lorsqu'elle aperçut l'immense gratte-ciel de verre, où le visage de William Anderson, le fondateur, se dessinait délicatement grâce à des panneaux lumineux. Il arborait un sourire énigmatique. Le nom de la marque s'étalait en grosses lettres capitales au-dessus de sa tête. Malgré une cinquantaine bien entamée, Elena lui trouvait une certaine beauté. On disait de lui que William Anderson était un homme charismatique, mais d'une grande froideur, possédant une aura qui avait le don de figer n'importe qui - et même ses fils - sur place. Elena espérait ne jamais le rencontrer.

Deux minutes plus tard, la jeune femme se gara, mais ne sortit pas immédiatement de sa voiture. Le hall d'entrée se dessinait devant elle, et comme à chaque fois depuis une semaine, l'idée de pénétrer dans cet endroit d'élégance et d'abondance la pétrifiait. Il fallait qu'elle calme son cœur qui s'emballait.

Un jour, Elena se l'était promis : Noah verrait autre chose que la morosité londonienne. New York, Paris, Tokyo, Las Vegas, Florence, Athènes ; n'importe où pour rendre heureux cet enfant condamné.

Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant