19.1. Lovers in Paris

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Une bouteille de vin rouge - un saint-Emilion de 98 - posée sur la table devant lui, l'homme regardait vaguement dans le vide, jetant de temps à autre un coup d'œil à la montre d'argent autour de son poignet. La trotteuse tiqua sur le chiffre douze, et les coups de minuit retentirent dans la chambre d'hôtel vide, à peine éclairée par les illuminations de Paris et les rayons de la lune traversant la vitre panoramique du salon.

Le dernier coup de l'horloge en or, ornementant la table basse devant la télévision sonna, et le calme revint dans la pièce. Avec un pincement au cœur, il constata que la porte donnant sur le corridor demeurait désespérément fermée, et aucun bruit de pas ne lui parvenait depuis l'extérieur. Depuis combien de temps attendait-il ainsi ? Il avait arrêté de compter depuis un moment, l'alcool embrumant ses pensées. D'un geste machinal soufflant légèrement comme si le fait de tendre la main vers la bouteille lui demandait un effort incommensurable, il se resservit un peu de liquide rouge dans son verre vide, puis reprit le cours de ses mores et tortueuses pensées.

Que faisaient-ils en cet instant qui leur prenait si longtemps ? Harold n'avait-il pas dit qu'ils allaient simplement dîner ? Le repas semblait s'éternisait, et l'attente resserrait son étau sur le cœur de Travis, l'empoisonnant chaque seconde un peu plus.

Il soupira, se détestant d'être dans une position aussi misérable, assujetti par la beauté et le caractère d'une femme, lui, l'homme de pouvoir qui s'était juré de ne jamais laisser ses sentiments dépasser sa raison. Si au moins il avait eu quelque chose à haïr chez elle, de quoi se raccrocher pour maintenir cette douleur à distance... mais non, il n'en était rien. Tout en elle, depuis son froncement de sourcils intempestif, les regards courroucés qu'elle lui lançait de ses yeux d'ambre, aux paroles cinglantes qui se heurtaient parfois à ses ordres et à ses remarques autoritaires, tout, l'esprit comme son corps, l'attirait comme un papillon de nuit à une lumière. Il n'avait même pas le délicieux loisir de l'abhorrer pour trahison, puisqu'il était le seul à blâmer de l'avoir envoyé dans les bras d'un homme capable de faire son bonheur.

Et son bonheur à lui, qu'en était-il ? Travis ne s'était jamais véritablement posé la question, croyant fermement que l'essence de son épanouissement personne reposait sur l'acharnement qu'il fournissait dans son travail, laissant exploser sa fierté et sa rage, combattant les démons que sa mère avait parsemé sur son chemin par son abominable déloyauté. Mais depuis qu'il avait rencontré Elena, toutes ses certitudes, toutes ces croyances, ce sur quoi il avait construit sa vie et l'homme qu'il était devenu, tout s'effondrait.

Il la jalousait secrètement, un peu. Plus puissante que lui, plus déterminée et combattive que lui, voilà tout ce qu'elle était, et ce qu'il n'était pas. Lui, qui avait tout, se retrouvait sans rien à quoi s'attacher, sans corde pour le ramener sur la terre ferme quand il était à la dérive. Elle, qui n'avait rien, était le pilier qui maintenait tous les autres sur terre lors des secousses les plus dévastatrices. A quel moment avait-il perdu contre elle ? Quand ces adorables lèvres, apparaissant dans tous ses rêves, se lovant contre ses pensées, l'emprisonnant dans ses divergences les plus érotiques, avaient-elles scellés le sort le condamnant à vivre éternellement enchaînés à ses pieds ?

Tel était le constat amer que se faisait Travis en savourant une dernière coupe de vin, l'esprit fébrile, le cœur éventré et le regard vitreux, face à la porte fermée de sa chambre d'hôtel en plein Paris, à l'allure des barreaux de prison dans cette pénombre lui rappelant sa propre obscurité.

Finalement, après long moment à fixer l'entrée de la chambre en espérant la voir en franchir le seuil, il comprit qu'il ne servait à rien d'attendre plus longtemps. Jetant un dernier coup d'œil plein d'animosité vers le bouquet de lys qu'Harold avait amené un peu plus tôt dans la soirée, il avala d'une traite l'alcool restant au fond de son verre et se dirigea à pas lourds vers sa chambre, le cœur serrés. Il se sentait stupide d'avoir attendu des heures durant, espérant son retour alors que son esprit et ses démons étaient à l'origine de ce plan machiavélique.

Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant