Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.

22.4 - Crossing Over

- Cesse de me tenir la main si ostensiblement !

- Ne commence pas, souffla l'homme d'un air désappointé en tirant sur la cravate de son costume avec une grimace.

Comme chaque fois qu'il en portait un, la sensation d'étranglement se resserrait autour de lui petit à petit. S'il s'écoutait, il enlèverait volontiers la coupable sur le champ afin de respirer plus librement, mais un coup d'œil furibond de la brune à ses côtés l'en dissuada, et il pesta intérieurement. Fichu tatouage à la base de son cou... Cela l'obligeait à se vêtir de la sorte dans des événements mondains tels que celui-ci.

Natalia conserva un visage irrémédiablement fermé derrière sa coupe de champagne, se contentant de tuer mentalement la jeune femme aux longs cheveux châtains qui leur tournait délibérément le dos. Ses traits transpiraient la haine et le mépris, et Hunter restait certain que, si elle avait pu faire fi des ordres de Marco, elle n'aurait pas hésité à prendre sa vie immédiatement.

Mal à l'aise en présence de sa cavalière pour la soirée, Hunter se pencha vers elle et tenta d'engager la conversation :

- Tu sais que tu n'as rien à lui envier, n'est-ce pas ?

Même si cela fut accompagné d'un petit rire hautain et sarcastique, ainsi que d'un sourire goguenard, la remarque naïve de Hunter eut au moins le mérite de détourner l'attention de Natalia pour quelques instants. Elle vrilla ses yeux sur lui, et une fois de plus le jeune Lion se sentit soudainement lourd et mou à ses côtés. Depuis deux ans qu'il était entré dans les Lions, il n'avait cessé d'observer Natalia discrètement, sans jamais rien dire ; malgré les cicatrices qui lacéraient une partie de son visage, il trouvait que ces dernières ne la rendaient que plus belle et humaine. Beaucoup des membres des Lions s'accordaient à dire que Natalia n'était que la réincarnation d'un démon des enfers, tant ses manières et ses regards glaçaient leurs sangs.

Mais pas Hunter. Chez lui, elle ne provoquait pas cet effet de panique, de terreur froide qui saisissait les autres. Il parvenait à voir au-delà de ses pupilles effrontées et enflammées, au-delà de tout ce qu'elle s'acharnait à laisser paraître. Hunter ne désespérait pas : il conservait la certitude qu'un jour viendrait où Natalia le remarquerait à son tour, lassée d'être sans cesse rejetée par un homme qu'elle ne réussissait pas à conquérir depuis des années.

Patiemment, Hunter attendait son heure, sans jamais rien dire ou garder rancune contre Marco qui n'hésitait pas à utiliser la jeune femme quand ses besoins primitifs refaisaient surface alors que son âme restait toujours dévouée et enchaînée à celle d'Elena. Il savait que ses conseils n'auraient que braqué un peu plus Natalia et Marco, aussi se contentait-il de laisser les choses se faire et se défaire avec un naturel qui frôlait la folie.

Les iris inquiets d'Elena accrochèrent les siens une fraction de seconde, mais elle fut bien suffisante au rouquin pour y discerner l'angoisse et la peur qui se muraient derrière ses pupilles. Il l'observa un moment, sans parvenir à comprendre pourquoi Marco était plus attiré par elle que par une femme pleine de caractère comme Natalia ; si Elena ne manquait pas de charme à son goût, elle ne possédait cependant pas ce mordant qui l'excitait et lui plaisait au plus haut point ; ce goût de métal en bouche, annonciateur du tonnerre.

C'était ce que produisait Natalia sur lui.

À sa grande surprise, la jeune espionne aux formes délicieuses et généreuses qui lui valaient des coups d'œil de la part de tous les hommes de la salle se pencha vers lui et murmura doucement :

- Ne te méprends pas sur Elena, Hunter. Elle est plus coriace qu'elle n'y paraît.

Il fronça les sourcils et haussa les épaules en se tourna vers elle, le verre de champagne toujours entre ses doigts.

- Est-ce que tu possèdes la faculté de lire dans les pensées ?

- Ne sois pas stupide, répliqua-t-elle d'un ton dédaigneux en agitant la main avec désinvolture. C'est ce que tous les hommes imaginent : avec son air de biche et ses grands yeux innocents, elle parvient à tromper n'importe qui. C'est pour cela que Marco veut qu'elle rejoigne absolument l'équipe ; elle est parfaite pour les missions d'infiltration. C'est aussi le genre de truc qui l'excite au pieu, maugréa-t-elle.

Hunter ne répliqua pas tandis qu'elle avalait d'une traite le reste de sa boisson alcoolisée, songeur. Il était vrai que durant l'entrevue avec le chef de Lions, Elena était presque parvenue à le faire sortir de ses gonds, chose que personne ne s'aventurait à faire dans le clan ; les fous qui avaient essayé n'avaient jamais pu y arriver.

Hunter ne les avait jamais revus non plus.

- Imagine-toi seulement son visage innocent déformé par la sauvagerie et l'appel du sexe, et tu comprendras pourquoi il la désire autant.

Natalia se versa une autre coupe de champagne, défaite, et Hunter l'observa du coin de l'œil. Ainsi donc, la jeune femme croyait-elle sincèrement que Marco ne voulait d'Elena que pour quelques parties endiablées de jambes en l'air ? Il n'osait lui révéler tous les secrets et les confidences que Marco lui avait faites durant leurs beuveries nocturnes. C'était un amour bien plus profond et sacré qu'il lui vouait et qui le liait à elle qu'un simple désir sexuel. Combien de fois Marco ne lui avait-il pas raconté la douleur qu'Elena lui avait causée quand elle avait interrompu leurs fiançailles... Il lui avait narré mille fois leur rencontre, leurs soirées romantiques loin des dangers que leur vie entrainait et son incapacité à la haïr complètement...

Natalia n'avait visiblement pas conscience de cela.

Une fois qu'elle l'apprendrait à ses dépens, elle se tournerait vers lui. Le seul qui ne l'avait jamais fui. Qui resterait toujours à ses côtés.

Elle reposa abruptement son verre sur la petite table à côté d'eux, comme calmée par l'odeur de l'alcool, et souffla un grand coup, non sans avoir lancé un regard meurtrier à sa rivale. D'un geste de la main agacée, elle lissa sa longue robe noire.

- Bon, tu viens ? Faut qu'on trouve notre contact avant le début du défilé.

Ils évitaient de mentionner le nom de la jeune femme qui les avait fait rentrer dans l'hôtel particulier afin que personne, surtout pas de potentiels espions, ne puisse remonter sa trace si quelque chose tournait mal après les opérations. Hors de question de griller une couverture aussi bêtement.

Hunter écarquilla les yeux, surpris par l'aplomb de Natalia.

- Je croyais que nous devions simplement attendre là.

- Oui, eh bien, cela fait une heure qu'on poireaute et elle n'est toujours pas venue. Le spectacle commence dans dix minutes, donc je pars à sa recherche, répliqua-t-elle d'un ton tranchant. Tu n'as qu'à rester ici si tu es aussi inquiet.

- Nat...

Mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, la jeune femme s'était éclipsée, elle et sa démarche féline perdue parmi l'océan de costumes qui défilaient sous les yeux de l'homme au bleuet. Incapable de la voir, un pincement au cœur l'envahit, mais il se résolut à demeurer à son poste d'observation : il ne pouvait laisser Elena échapper à sa surveillance.