21.5 - Pretty Woman

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Elena manqua de trébucher en entrant dans le petit espace, et de s'affaler contre une étagère en acier. Elle retint un cri de surprise tandis que Travis attrapait son poignet pour éviter qu'elle ne se blesse avant de refermer la porte sur eux. L'obscurité envahissait assez l'endroit pour qu'ils soient obligés de plisser des yeux et d'utiliser leurs mains afin d'apprécier les reliefs des objets pour ne pas s'y heurter. Le silence s'installa alors que Travis, le regard enflammé et intense bousculait Elena contre l'une des parois et se plaça devant elle dans une posture dominatrice. La jeune femme sentit ses poings se serrer malgré elle de rage et d'impuissance face à son patron qui entravait ses bras et ses mouvements afin qu'elle ne s'échappe pas. Un minuscule interstice les séparait l'un de l'autre, si proche que le souffle chaud de Travis venait caresser la peau hérissée d'Elena, frissonnante.

Une minute interminable s'écoula pendant laquelle aucun d'eux ne parla, préférant laisser planer le silence autour d'eux tandis que leurs yeux s'habituaient à la pénombre. Complètement isolés du reste des invités, ils n'entendaient plus rien que leurs battements de cœurs effrénés et la colère qui pulsait dans leurs tempes. Elena percevait même une pointe de haine dans les pupilles azurées de Travis, mais elle s'évanouit si vite qu'elle douta de son existence.

Le jeune homme plaqua un bras contre le mur, juste à côté de sa tête, un brasier immatériel crispant ses traits délicats, mais devenus brouillés par la fureur.

- Tu comptes t'expliquer, ou tu préfères que je t'arrache les mots de la gorge d'une façon nettement plus brutale, hein ?

- Mais qu'est-ce qui te prend ? s'étonna Elena, maîtrisant avec peine son envie de flanquer son poing dans la figure de Travis. Cela ne te regarde absolument pas !

- Tu te fous de moi ? Bien sûr que si ! Depuis quand t'approches-tu d'Harold sans que je ne l'aie expressément ordonné ? manqua de hurler Travis.

Sans aucun avertissement, ses mains se contractèrent brutalement sur le poignet d'Elena, qui cette fois lui lança un coup de pied contre le tibia pour manifester sa douleur, mais Travis ne bougea pas. Son regard brillait, la folie enveloppait ses prunelles, et la colère épaississait les traits sculptés de son visage princier. La beauté froide avait disparu pour laisser place à un masque de feu qui fissura un peu plus l'âme d'Elena, incapable de reconnaître cet homme qui hantait ses nuits, ses rêves et ses journées. Des larmes de peine lui montaient aux yeux, et elle prit une profonde inspiration tandis que Travis lui broyait littéralement les os.

- Travis, arrête. Tu me fais mal.

Il ne réagit pas, se contentant de darder ses iris sur Elena, ses lèvres, sa nuque, et la naissance de sa poitrine. L'espace qui les séparait semblait s'être encore réduit, et la jeune femme pouvait presque sentir son torse contre le sien. Une étrange sensation - qui ne découlait ni de la peur, de l'angoisse ou de la douleur - se répandait au creux de son estomac, et se propageait dans le reste de son corps en un frisson intense. Les mains moites, le cœur tremblant, un filet d'humidité ruisselait depuis sa gorge jusqu'à son entrejambe, si puissamment que cela lui faisait mal. Elle dévisageait la bouche de Travis avec l'envie inexplicable de s'en emparer ; et la manière dont il tenait ses poignets, malgré la souffrance, provoquait une vague de chaleur en elle, qui lui arrache une inspiration plus brutale que les autres.

Elle déglutit, cependant, inquiète de constater que la fureur de Travis ne redescendait pas ; il ne semblait même pas l'avoir entendue.

- Travis, insista-t-elle d'une voix plus forte. S'il te plaît.

Cette fois-ci, sa supplique parut l'atteindre et il s'écarta légèrement d'elle, relâchant la pression autour de ses membres. Une expression de culpabilité voila un instant ses traits, mais disparut bien vite. Elena massa doucement les endroits où Travis l'avait maintenue avec fermeté sans cesser de le contempler, troublée. Même s'il l'avait libérée, la jeune femme ne pouvait s'échapper, l'imposant corps de Travis bloquant la porte. Elle soupira, et ferma les yeux un moment.

Lorsqu'elle les rouvrit, les lèvres de Travis n'étaient plus qu'à quelques centimètres des siennes, et sa main droite passa derrière le dos d'Elena pour enserrer sa taille, de sorte à la rapprocher un peu plus de lui. L'odeur de jasmin qu'elle respirait dans sa nuque manqua de la faire défaillir, et parvint à lui faire oublier la violence qu'il manifestait encore quelques secondes plus tôt.

Les doigts de Travis se replièrent sur le tissu léger de la jolie brune, contenant avec peine une irrésistible envie de la lui arracher pour mieux se régaler du spectacle de ses formes. Avec toute la volonté du monde, il réussit à se contrôler, et sa voix baissa d'une octave.

- Explique-moi, El. Pourquoi continues-tu de poursuivre Harold comme une ombre au soleil quand tu ne cesses de me fuir ?

De sa main libre, l'homme se mit à caresser la joue d'Elena avec une tendresse qui contrastait avec la brutalité de ses gestes une minute auparavant. À son contact, la jeune assistante trembla une nouvelle fois, d'incertitude cette fois-ci. La capacité de Travis de passer si facilement d'une émotion à l'autre, d'établir une connexion, un lien entre ses deux extrêmes sans se poser la moindre question la terrifiait plus que n'importe quoi d'être. Cette lueur enflammée, Elena ne l'avait jamais aperçue ailleurs que dans les prunelles de Marco. Un condensé de rage, de haine, de vengeance et de douleur pure, avec une pointe de désespoir, et l'empreinte indéniable de la soif de pouvoir et de puissance.

Vaincue, elle préféra baisser la tête pour ne plus affronter cette folie qui marquait les yeux de Travis, et qui s'invitait dans tous ses mouvements. Elle posa une main sur le torse de Travis et le repoussa délicatement, et le jeune homme fronça des sourcils. Les doigts de ce dernier quittèrent la peau d'Elena, elle sentit une brûlure aux endroits où il l'avait touché. Cela lui manquait déjà, et une nouvelle fissure se dessina dans son cœur, parvenant presque à suspendre ses gestes.

Mais elle se contint.

- Harold n'est pas comme toi, Travis, avoua-t-elle, fébrile. Il m'écoute. Il me parle. Il ne disparaît pas tel un fantôme au petit matin, et ne cherche pas à profiter de mes faiblesses pour m'atteindre. Il n'y a aucun égoïsme quand il me touche et lorsqu'il me sourit. Je préfère sa compagnie à la tienne. C'est plus facile...

- Tout ça n'est qu'une stupide comédie, El ! souffla-t-il furieusement tandis qu'elle l'écartait toujours. Un simple jeu, où Harold ne constitue qu'un vulgaire pion, et toi ma pièce maîtresse !

Il marqua une pause, et Elena se mordit la lèvre, son cœur menaçant d'exploser.

- N'attaque pas sans mes ordres... ajouta-t-il d'une voix étrangement suppliante. Ne m'abandonne pas dans un abysse sans fond où je ne peux te suivre.

Elle inspira intensément, luttant contre son désir et les lèvres de Travis qui paraissaient chercher les siennes tant leur proximité s'amenuisait.

- T'est-il venu à l'esprit qu'Harold puisse peut-être sincèrement me plaire, Travis Anderson ? murmura-t-elle, les larmes aux yeux.

Sa gorge lui faisait mal, comme si ses cordes vocales avaient été coupées, comme si elle sortait d'un mutisme profond de plusieurs années. L'intonation rendue rauque par les pleurs lui fit presque peur. Travis écarquilla les yeux, une expression de stupéfaction se peignant sur son visage. Il paraissait si bouleversé qu'Elena faillit le prendre dans ses bras afin de le consoler, mais la haine qu'elle ressentait pour lui en cet instant, la peine de se sentir si peu considérée par lui, et les avertissements de Marco l'en empêchèrent.

Profitant de cet instant de trouble, elle se dégagea vivement de l'emprise de Travis, et trouva à tâtons la poignée de la porte. Pendant une fraction de seconde, elle hésita à l'actionner afin de retrouver Harold, mais Travis demeurait si stoïque, dans cette attitude glaciale et figée que tout doute déserta de l'esprit de la jeune femme.

La dernière chose qu'elle crut apercevoir fut une unique larme roulant sur le visage de Travis lorsqu'il se retourna avant qu'elle ne disparaisse dans le couloir.


Every Breath You Take : Alliances | Tome 1.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant