49. [Jasmina]

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Seule, seule, seule et encore seule. Jasmina se dirigeait vers son biome en pensant à Elisa et Donavan. Ils étaient tous les deux partis si brusquement qu'elle ne réalisait pas qu'ils l'avaient réellement quitté. Elle ne les connaissait pas depuis longtemps mais n'avoir personne avec qui échanger lui manqua terriblement, ne serait-ce que pour parler de sujets futiles et inintéressant.

Edward restait bel et bien la seule personne à qui elle pouvait parler, et encore... S'être laissée tomber dans ses bras dans une situation de faiblesse lui donna si honte qu'elle appréhendait déjà la prochaine fois qu'elle lui adresserait à nouveau la parole. Il avait dû la trouver si ridicule et insensée. Elle-même ne savait pas pourquoi elle était passée d'un chagrin terrible à une euphorie soudaine en se retrouvant blottie contre ses bras. « Cela devait être la magie du Jeu des Faucheurs » se dit-elle.

Mais non, quelle bêtise. « La magie du Jeu des Faucheurs », quelle absurdité. Comment qualifier ce jeu de magique lorsqu'il vous enlève subitement vos seuls compagnons? Et encore, cela n'était pas entièrement la faute de ce jeu, mais plutôt celle des personnes qui avaient été assez bêtes pour voter à la fois contre Elisa et Donavan.

En se rapportant au nouvel élan qu'elle avait décider de donner à sa vie, elle s'efforça d'accepter la situation même si elle ne put se retenir de verser une petite larme lorsqu'elle vit l'inscription « biome tropical » écrite sur le panneau de devanture. Désormais, il fallait se concentrer sur les faucheurs. Elle se l'était promis, cela devrait être son seul objectif.

« Je vais me les faire avant tout », se dit-elle en repensant à Miranda et Valia. Jamais au grand jamais elle n'accepterait les propos qu'elles avaient tenus à son égard. Se laisser faire était bien fini, se reprendre en main leur causerait des ennuis. A quoi bon se morfondre éternellement?

D'après ce qu'elle avait comprit, il n'était pas interdit de commettre des homicides au sein du jeu. Cependant, elle n'avait pas d'idée quant aux moyens qu'elle emploierait pour les tuer sans que cela ne s'ébruite trop. Se procurer de la mort au rat ici était impossible, mais si elle parvenait à trouver un outil qui transpercerait leurs cervelles - si cervelles il y a - elles fermeraient leur clapet à tout jamais.

D'un autre côté, elle n'avait pas envie que des innocents meurent inutilement. Si elle tuait Valia et Miranda alors qu'elles étaient en vérité des innocentes, cela causerait des pertes incommensurables. Les avoir mortes était nécessaire pour qu'elle puisse continuer à mener une vie plus sereine. Une idée lui vint alors: il ne restait qu'elle dans sa tribu, il lui suffirait d'orienter les votes contre l'une des deux lors du prochain conseil pour qu'elles y passent sans que personne ne lui reproche de les avoir assassinées directement. Etant donné qu'elles avaient toutes deux déjà été porte-paroles, elles n'auraient même pas la chance de pouvoir se défendre.

Seule, seule, seule et encore seule. Jasmina traversa le biome dans son intégralité et marchait au rythme de ses pensées lorsqu'elle aperçut une plage en contrebas. Elle qui adorait les paysages tropicaux, elle s'y rendit et s'assit sur le sable chaud pour laisser les vagues artificielles s'écouler sur ses pieds. S'imaginer en train de faire découvrir ce coin si privilégié à Elisa et Donavan fit remonter les larmes mais cette fois elle ne les laissa pas couler. Au lieu de cela, elle sourit face à au paysage qui la berçait.

Etre avec Edward lui traversa également l'esprit. Ils auraient été si bien ici, tous les deux, face à la mer, sans que personne ne puisse les embêter. Mais elle ne savait pas ce qu'il pensait d' « eux » si ce terme avait un quelconque sens aux yeux du jeune homme. Oh, ses yeux, elle les aimait tant. Chaque regard qui lui avait adressé lui avait fait l'effet d'une caresse.

Depuis la mort de sa mère, elle n'avait guère senti le sentiment de bienveillance se poser sur elle. Fatalement, le regard alcoolisé de son père n'avait jamais procuré un tel réconfort. En constatant que cela faisait maintenant plusieurs jours qu'elle était séparé de lui, elle en vint à penser qu'elle était mieux ici qu'à la maison lorsqu'elle devait le réveiller dans sa voiture avant qu'il ne reparte de plus belle à son travail.

Même cette présence lui manquait en cette après-midi où la solitude l'accompagnait dans chaque recoin où elle se rendait. Alors, elle eut l'envie de se téléporter, loin d'ici, dans une destination paradisiaque avec des personnes qu'elle aimait.

Soudain, le mot téléportation fit écho dans sa tête et lui rappela son rôle qu'elle avait oublié lors de sa dernière nuit dans l'arène. Elle s'en voulut d'être dotée d'un pouvoir qu'elle n'avait pas honoré tandis que d'autres innocents survivaient seulement à la force de leurs bras et de leurs jambes. Elle se résonna: elle utiliserait pleinement ses pouvoirs dès qu'elle en aurait l'occasion et sauverait autant de vies que possible.

Terrorisée à l'idée de retourner séjourner dans l'arène ce soir, elle se consola en se disant qu'au moins elle ne serait plus seule à combattre la mort. Et puis, ses seuls connaissances étant mortes, elle n'avait plus rien à perdre et ne risquait pas de retomber dans un autre chagrin avant longtemps.

« Pourvu que tu n'y passes pas, Edward »

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant