52. [Jasmina]

82 24 6
                                    

"Es-tu là?", fit une voix inquiète, "Allez, réveille-toi". Somnolant encore, Jasmina se croyait plongée dans un rêve. "S'il te plaît, pas maintenant", répondit-elle. Les cris qu'elle reçut instantanément la firent sursauter. "Je n'ai pas le temps pour tes conneries, tu vas te bouger nom d'un chien?".

Sonnée par la nature abrupte de son réveil, Jasmina ouvrit les yeux et distingua quelqu'un qui se tenait devant elle. Incapable de déterminer s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, elle resta néanmoins interpellée par ses habits rouges. "Mais qu'est-ce que tu me veux, toi?" dit-elle en reculant.

-Oh merde... tu le fais exprès? Duos? Hein? Ca ne te dit rien?

Jasmina vit que l'inconnu frôlait l'énervement mais ne comprenait pas ce qu'il insinuait.

-Duos?

-Oui, duos ! Nous devons rester ensembles, regarde ! dit-il en montrant le bracelet électronique qui était attaché à son poignet.

-Oh, je suis vraiment navrée, ce détail m'était complètement sorti de la tête, bien sûr, je m'en souviens, répondit-elle en constatant qu'elle en portait également un. Mais qui es-tu?

-Je crains ne pas pouvoir répondre à ta question, le cas Pauline m'ayant refroidi...

-Ok, je suis à côté de la plaque, soupira-t-elle. Désolée.

-De toutes façons ce n'est pas important que tu connaisses mon identité, seuls les rôles ont de l'importance, et encore, il faudrait que...

-Maître des téléportations, coupa-t-elle.

-Vraiment?

Elle en lui montrant les deux sabliers qu'elle avait dans les poches de son pantalon.

-Deux téléportations par nuit, une groupée, une individuelle.

-Ah, très bien, je me disais bien que tes habits n'étaient pas ceux des innocents...

-Mais je reste innocente, recoupa-t-elle,  c'est juste que j'ai un petit...un petit...

-Plus?

Jasmina acquiesça.

-J'ai un rôle également tu sais, je suis frère de sang, expliqua-t-il.

-Tu sais, je connais. Et l'heureux élu n'est autre que? demanda-t-elle avant de réaliser qu'il n'avait pas le droit lui répondre.

Ce soir, tout fonctionnait au ralenti chez Jasmina, elle avait du mal à se concentrer. Mais elle n'avait pas le droit de montrer ses défaillances: "Aller de l'avant, rappelle-toi Jasmina".

-Je ne sais pas quoi...

-Bref ! Où allons nous? lança-t-elle.

-Heu, déjà il faudrait que nous sachions où nous sommes en ce moment, non?

-Parce que tu en as une idée?

-L'exploration n'a jamais fait de mal à personne, répliqua-t-il.

-Oh non c'est vrai, dit-elle sur un ton moqueur, ça aide juste les faucheurs à nous trouver puis, par la même occasion, autant se faire déchiqueter.

Le ton de bébé qu'elle avait employé crispa l'inconnu.

-Tu sais que, ce n'est pas, je veux dire, ce n'est pas drôle?

-Oh, ne commence pas à me fatiguer avec des phrases politiquement correctes! Relativise à la fin...

-Suis-moi et tais-toi.

-Pardon?

L'inconnu ne répondit pas et entama la traversée du pré dans lequel ils se trouvaient. L'attitude de Jasmina ne semblait pas lui avoir plus, elle en vint même à penser qu'elle devrait commencer à mettre des filtres sur sa personnalité pour ne pas laisser entièrement transparaître son caractère. Oui, tout le monde fuyait devant son caractère.

En apparence sur d'elle mais en réalité terrifiée, Jasmina resta derrière lui au cas où il se passerait quelque chose. Elle n'était pas un fervente admiratrice des balades nocturnes, et encore moins dans ce contexte. Lorsqu'elle racontait au peu des gens qui acceptaient de lui adresser la parole, elle disait souvent qu'elle s'imaginait le pire, mais personne ne pouvait vraiment comprendre ce que cela pouvait réellement signifier.

Pour elle, s'imaginer le pire se traduisait par se persuader qu'un faucheur pourrait, à tout moment, attraper l'inconnu qui était devant elle et le faire disparaitre sous ses yeux en un claquement de doigts, la laissant livrée à elle-même perdue au milieu de nulle part. Ou encore mieux, un faucheur pourrait surgir de derrière, lui attraper le pied et censurer ses cris dans une seule action combinée - même si l'opération semblait périlleuse et demandait une coordination quasi-parfaite- .

Jasmina n'eut pas le temps de s'imaginer une troisième théorie sur les manières dont sa vie pourrait virer en cauchemar en l'espace de quelques secondes qu'elle sentit quelque chose lui agripper le pied. Bizarrement, si toute personne censée aurait paniqué sur le champ, elle se sentit rassurée de pouvoir crier à pleins poumons. Naturellement interpellé par les appels au secours, l'inconnu se retourna vers elle. Tétanisé à la vue du faucheur, il la regarda sans émettre le moindre mouvement.

Hallucinée, Jasmina essaya désespérément de lui faire comprendre qu'elle avait besoin d'aide mais en le regardant, elle eut l'impression de se revoir lorsqu'elle avait vu les faucheurs la première fois Après tout, elle non plus n'avait pas bougé. Mais merde quoi ! Il n'y avait personne en danger de mort !

Tandis que le faucheur l'avait traînée sur plusieurs mètres et qu'il était prêt à abattre sa faux sur Jasmina, l'inconnu fut interpellé lorsqu'il vit un peu plus loin une drôle de personne faire des grands gestes. Une longue cape, un chapeau pointu à la Merlin l'enchanteur, des souliers de magiciens basiques et clichés: un mage? L'homme semblait être en train de réaliser  des incantations.

Heureusement, l'arrêt des cris de Jasmina attira son attention du frère de sang qui put alors constater qu'elle ne bougeait plus, telle une statue, tout comme le faucheur qui était figé, la faux arrêtée dans sa trajectoire. Certes, le temps était arrêté, mais cela ne durerait pas éternellement, il fallait trouver une solution. Pensant être frappé par un éclair de génie alors que n'importe quelle personne censée aurait fait le rapprochement plus tôt, le frère de sang se rendit à l'évidence: il fallait avoir recours à une téléportation.

Mais il l'avait lu, il le savait: sans lieu précis, la téléportation était impossible. Alors, d'instinct, il appuya sur le bouton qui était sur sa manche droite:

"C'est moi", dit-il à travers le micro. "J'ai vraiment besoin de toi, j'ai les faucheurs au cul, il faut que tu me dises exactement où tu es".

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant