6. [Jasmina] & [Pauline]

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[Jasmina]

A l'âge de sept ans, Jasmina était assise dans la cuisine lorsqu'une dispute éclata entre son père et sa mère.

A l'âge de sept ans, Jasmina était assise dans la cuisine lorsque son père jeta sa mère si fort contre la fenêtre de la cuisine que celle-ci se brisa.

A l'âge de sept ans, Jasmina était assise dans la cuisine lorsque son père poignarda sa mère.

Elle était restée immobile, cramponnée aux barres de sa chaise. L'expression de son visage ne changea pas. Elle n'avait pas réagi, elle n'avait pas crié ni pleuré. Ce fut seulement le lendemain que le chagrin la rongea. Alors, en entendant des cris derrière elle lorsqu'elle se réveilla au beau milieu de la forêt, elle se mit en route sans réfléchir. Elle ne resterait pas insensible cette fois.

[Pauline]

Après être restée plusieurs minutes inconsciente, Pauline se réveilla dans le noir complet. Ligotée, la panique commença à monter lorsqu'elle sentit une autre corde la plaquer contre une colonne en marbre.

Une odeur vint chatouiller ses narines, une odeur qui lui était familière, un de ces parfums d'enfance qu'elle avait du mal à identifier mais qui lui paraissait si proche. L'odeur lui rappelait ses vacances dans le sud lorsqu'elle se baignait. Elle se remémora les après-midi passées à la piscine avec ses amies, l'odeur du chlore lui ravivait toujours des souvenirs enfouis loin derrière elle. Tout lui revint. La cadavre, le croisement, l'agression.

Subitement, la lumière de la piscine s'alluma laissant une ombre se refléter dans les ondulations de l'eau. Autour du grand bassin, des  toboggans ternis par la moisissure s'entremêlaient.

-Alors beauté, fit une voix. Comment vas-tu?

Voyant qu'elle ne répondait pas, l'inconnu tenta de calmer la situation.

-Tu sais, pour tout à l'heure, j'y suis peut être allé un peu fort mais bon, on ne sait jamais sur qui on tombe dans cette fichue forêt, pas vrai?

-Détâche-moi et je te dirai.

L'inconnu laissa un rictus s'échapper de sa bouche.

-Eh, tout doux, pas besoin, je ne mords pas, sourit-il.

-Et frapper, ça te parle peut être plus, hein? rétorqua-t-elle.

-C'était rien de bien méchant, je ne voudrai pas que cela gâche notre rencontre. Au fait, je suis John, toi c'est comment?

-Va crever, répondit-elle sèchement.

-Faisons comme cela, dit-il enjoué. Je ne sais pas ce qu'on fait là mais crois-moi, mieux vaut être prudent. Et puis qu'est-ce qu'une grande blonde venait faire là, au milieu de la route?  Ça t'arrive souvent d'avoir des idées pareilles?

-Je préfère parler les mains libres.

-Moi je préfère quand tu fais comme je te dis et quand tu réponds à mes questions, compris?

Le bruit des gouttes d'eau tombant de plafond peinait à combler le silence qui s'installa.

-Je veux bien te détacher, mais tu me promets de ne pas partir?

-Mais tu veux que j'aille où putain? Tu penses que je vais fuir dans la forêt pour me faire casser la gueule, ou, ah oui, mieux, me faire éventrer par des faucheurs? T'es con ou quoi?

John ne répondit pas. Elle avait raison, il le savait mais il ne pouvait pas l'admettre, alors il se contenta de s'approcher d'elle et de couper les liens qui la retenait prisonnière.

En se redressant, Pauline sembla apercevoir quelque chose d'étrange.

-C'est quoi ce truc, là? montra-t-elle en hochant la tête.

John se retourna pour voir ce dont il était question mais ne vit rien. Quel idiot, ce John. En l'espace de quelques secondes, Pauline prit son élan, s'élança et, en le poussant de toutes ses forces, parvint à la faire chuter dans la piscine. Sa colère lui avait procuré une force  qui l'étonna elle-même.

Encore sous le coup de l'adrénaline, Pauline fonça tête baissée vers le sortie. Même si cela faisait déjà plusieurs minutes qu'elle avait réussi à détacher ses liens, elle n'était pas parvenu à se défaire de la corde qui la retenait contre la colonne. "Merci John", ria-t-elle.

Au loin, elle l'entendait hurler toute sorte d'insulte depuis l'autre côté du bassin. Tant qu'elle n'était plus avec lui, la vie était moins insupportable. Débarrassée d'un poids, l'idée de pouvoir disposer de sa liberté l'enchanta.

Qu'allait-elle faire maintenant ? Partir? Oui, mais où? Encore dans un plan foireux? Non, ce n'était une bonne idée. Elle voulait juste sortir de cet endroit, et vite.

Alors qu'elle s'apprêtait à appuyer sur la poignée de la porte de la sortie de secours, elle la vit légèrement s'actionner. Coupée dans son élan, elle resta figée devant la porte: quelqu'un était là.

Heureusement pour elle, la porte était verrouillée: John avait prévu une quelconque intrusion. Cependant, il n'avait pas anticipé que les personnes en question essaieraient de défoncer la porte. Doucement, Pauline revint sur ses pas et s'engagea sur sa droite.

Après avoir traversé un long couloir, elle tomba sur un local technique. Depuis cette pièce, elle avait accès à tout: les circuits électriques, les arrivées d'eau de chaque toboggan et même l'intensité du courant. Pour compléter sa suite VIP, elle avait même une vue dégagée sur le bassin.

Alors que Pauline était parvenue à s'enfermer en trouvant la clef du local, des bruits se firent entendre: l'intrus était parvenu à défoncer la porte. Pourtant, Pauline n'avait pas peur. Elle se sentait en sécurité dans son local et misait beaucoup sur cette pièce.

Tandis qu'elle s'amusait à observer John qui peinait à sortir de l'eau, elle vit l'expression de son visage se décomposer et la peur s'installer dans son regard. Quelques secondes plus tard, les faucheurs qu'elle avait aperçu à son réveil arrivèrent face au jeune homme. Pour être certains de ne pas perdre leur proie, ils décidèrent de se séparer de part et d'autre du bassin. Si John parvint à prendre la fuite de l'autre côté du bassin, il n'arriva point à gérer les anges de la mort en même temps.

"Interdiction de laisser le corps entier", annonça une voix dans les haut parleurs. Semblants séduits par le défi, les faucheurs se lancèrent alors dans une chasse à l'homme. Le message avait déclenché en eux une certaine rage qui n'était visiblement pas prête de se calmer.

Pauline se souvint de ce qu'elle s'était promis: venger cette fille. Alors elle se dit qu'à deux, cela faciliterait les choses. Déterminée à aider John, elle ne réfléchit pas, posa sa main sur un levier et l'actionna.

Lumière: coupée.

[Jasmina]

Après quelques longues minutes de marche dans le noir, Jasmina rejoignit l'endroit d'où semblait provenir les cris. Ses sourcils se froncèrent lorsqu'elle lut sur un écriteau peint sur la bâtisse: «Piscine municipale ».  La porte d'entrée étant fermée, elle saisit une barrette perdue dans ses longs cheveux bruns et parvint à crocheter la serrure en un rien de temps.

"J'espère que je ne me suis pas une fois de plus foutue dans la merde", s'écria-t-elle en refermant la porte derrière elle.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant