11. [Jasmina]

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Monter sur un télésiège par ce soir si étrange faisait partie de la longue liste des péripéties inattendues qui parsemaient la soirée de Jasmina. Effrayée par le bruit strident que produisait chaque nacelle lors de leur passage par le départ du télésiège, elle s'assit péniblement sur l'une d'elle et se retourna pour admirer le spectacle derrière elle. La barrière continuait d'avancer au rythme du télésiège comme si on la poussait à aller à un endroit. Elle se sentait espionnée, même si en réalité ceci n'était le seul agissement d'un programme virtuel chargé de créer des évènements aléatoires pour animer la vie de l'arène.

Ce télésiège lui rappela ses nombreuses vacances au ski avec sa maman. Elle passait son temps à se plaindre de son froid de mains et demandait à chaque remontée mécanique à sa maman de faire des jeux avec elle. Cela commençait par un "Qui suis-je" où sa mère faisait exprès de perdre pour lui faire plaisir et puis cela dérivait sur le jeu du menteur avec les moufles qui lui arrachait toujours des rires spontanés et innocents.

Quel dommage que tu aies assassiné maman, commença-t-elle à écrire sur une feuille blanche, perdue dans son blouson depuis plusieurs années. Elle avait toujours eu envie d'écrire à son papa pour lui décrire ce qu'elle pensait étant donné qu'ils ne se voyaient plus beaucoup. Elle continua sa lettre:

"Elle ne le méritait peut-être pas complètement. D'accord, maman avait commis l'irréparable. D'accord, maman avait flirté avec un autre homme délibérément. D'accord, maman s'est comportée comme une fille légère que l'on retrouve au bois de Boulogne. Mais en mourir? N'est-ce pas trop? Et toi, tu ne l'as pas cherché finalement? Par tes fausses discussions sur la vie où tu étalais ta science dont tout le monde se foutait et par ces monologues qui n'intéressaient personne à part ton égo et ta propre image? Maman, je l'aimais. Elle m'aimait. On s'aimait. A cause de toi cela est du passé. Je suis consciente qu'elle aurait dû être lapidée, donc je suis reconnaissante envers toi de l'avoir épargné dans un sens.

Mais zut quoi, ça fait mal au fond. Tu devais être médiocre au lit vu comment les attentions que tu lui portais était inexistantes ou gênantes. Tu n'étais pas un bon mari, donc dans un sens tu l'as sauvée de l'ennui éternel avec toi. Parce que oui, maman c'était aussi la lâcheté. C'était accepter que de se faire écraser par son mari était une forme d'atout alors que c'était sa pire faiblesse.

Et pourquoi devant moi? Tu aurais pu la tuer lorsque je dormais, lorsque je n'étais pas là. Et pourquoi si tôt? Pourquoi tant de violence? Maman, elle ne t'a pas tué quand je lui ai raconté pour le soir dans ma chambre. Je devrai en parler, mais maintenant je ne peux plus. Je suis coincé dans cet endroit maudit où des personnes me suivent pour me tuer. Cela ne m'étonnerait même pas que tu sois derrière tout cela. Il faut me faire taire? Pourquoi? Tu m'as pourtant expliqué, tout au long de mon éducation, que les relations entre parents et enfants étaient naturelles et pures. Tu es contradictoire et bête.

Mais je ne t'en veux pas complètement puisque grâce à toi je sais me défendre maintenant. A force de voir la bêtise et la méchanceté face à moi, chaque jour, j'en suis ressortie murie. Je sais me défendre maintenant, je sais comment répondre aux personne qui souhaitent m'humilier ou me salir. Alors merci Papa d'être une merde, merci de m'avoir donné un repère sur lequel me baser et ne jamais suivre l'exemple.

Je sais que je te manque parce que sans moi tu ne peux plus être entièrement heureux. Il te faut une personne pour égayer tes journées de quelque manière que ce soit. Je ne veux plus être cette personne mais ta perfidie te permettra surement de trouver une nouvelle proie pour ton cirque malsain, mais qui au fond te va si bien.

J'espère que je sortirai rapidement de cet endroit pour te dire cela de vive voix avant que tu ne me voies disparaître. De toute façon, je ne te laisserai pas me tuer, pas moi. Moi je suis gentille au fond. Peut-être que je suis en sécurité ici finalement, loin de toi. Mais si tu es derrière tout ça, sauve-moi au nom de maman qui s'est toujours battue pour que j'ai une belle vie malgré le fait que tu aies déjà gâchée la sienne. Respecte-la, elle est morte. En vérité, elle est morte depuis longtemps. Tu l'avais enterrée psychologiquement depuis des dizaines d'années, tu l'as surement libérée papounet. Plus de sexe, ça c'est fini. Et plus de repas dégueulasse. Et plus de critique.

Si j'ai la chance de te recroiser, je te couperai les couilles et les suspendrai en guise de trophée au dessus de mon lit, si un jour j'ai assez d'argent pour m'en payer un. Je t'aimais Papa.

Je t'aime Maman."

Alors que la nacelle continuait son chemin sur son fil de carbone, elle s'arrêta net. Tout se figea, le temps s'arrêta.

Elle ne le savait pas encore mais Jasmina faisait partie des vingt-quatre survivants de cette nuit.

Paix aux vingt-six défunts.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant