29. [Alex]

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Cette nuit là, Alex se réveilla calmement. Pas de forêt. Pas de faucheur. Pas de cri. Simplement une chambre paisible qui semblait isolée du reste de l'arène. Se sentant en sécurité, il décida de rester ici aussi longtemps qu'il le pourrait. Il aimait tant ces moments où personne ne le dérangeait.

La taille imposante du lit qui se trouvait au milieu de la pièce lui donna l'irrésistible envie de s'y allonger. Si toutes les nuits dans l'arène se déroulaient de la sorte, Alex se demanda où était la terreur que l'on tentait de lui vendre. Il ne savait simplement pas que cette nuit n'était qu'un coup de chance.

Encore assommé par la fatigue accumulée au fil de ces deniers jours, il se demanda si une sieste serait la bienvenue, puis se rappela où il était. L'arène était toujours remplie de surprise, qui soit disant passant n'étaient jamais agréables. La méfiance était nécessaire, nécessaire si l'on ne voulait pas mourrir.

Sourd. Strident. Cassant même. Tels étaient les bruits qu'Alex entendit subitement. Un tapotement, une frappe, un coup. Plusieurs fois, répétés. Quelque chose se passait. Ne cherchant pas à se mettre en danger, il préféra rester cloîtré dans la chambre, le temps que cela se calme.

Sourd. Strident. Cassant. Encore, encore, encore et encore. Alex vint à penser que quelqu'un essayait de détruire quelque chose. Sa curiosité fut mise de côté par son inquiétude. Qui serait assez bête pour entamer un chantier par un soir comme celui-ci? Il ne pouvait pas y avoir de travaux, Cinks semblait bien trop organisé. Jamais il ne les aurait laissé seuls dans une arène inachevée. Cela devait être autre chose.

Sourd. Strident. Cassant. Toujours et encore. La curiosité commençait à prendre le pas sur l'inquiétude. Il voulut partir en expédition pour localiser l'origine du vacarme. Doucement, Alex appuya sur la poignée de la porte qui fit un bruit épouvantable.

Sourd. Strident. Cassant. Un cri, un râle, un appel à l'aide, mais plus aucun coup. Trop intrigué pour faire marche arrière, il continua son infiltration en prenant garde à ne pas faire grincer les lattes en bois du couloir. Un brin d'excitation montait en lui.

Sourd. Strident. Cassant. Proche, près, à côté. Alex avançait dans le couloir, une boule s'installa dans son ventre. Quelques chambres plus loin, Alex parvint à trouver d'où provenait les bruits: il se tenait devant la porte derrière laquelle semblait provenir les cris. Peu enchanté à l'idée de rentrer dedans, il ne manqua pas de coller ses oreilles contre le mur adjacent.

Sourd. Strident. Cassant. Tels étaient les pleurs, les cris de douleur qui glacèrent son sang. Cela allait decrescendo. La situation semblait se désamorcer petit à petit. Une agression lui sembla plausible. Un faucheur venait-il de prendre la fuite? Non, cela n'était pas logique. La victime n'en serait pas sortie vivante. Ne pouvant s'empêcher de vouloir comprendre, Alex ne réfléchit pas et ouvrit brusquement la porte. Il vit un joueur portant le costume d'un innocent adossé au mur, la tête entre ses mains.

"Je, je ne voulais pas euh, je... suis désolé, déclara-t-il en ayant l'impression d'avoir fait intrusion dans la vie privée de quelqu'un. Je, je... m'en vais". Le jeune homme revint sur ses pas lorsqu'il fut interrompu:

-Non, ne pars pas, déclara l'inconnu. Je ne veux pas qu'on me laisse, dit-il d'une voix effrayée.

-Euh, comme tu voudras, répondit Alex étonné.

Il s'assit alors dans le fauteuil collé à la porte. Curieux, il ne put s'empêcher d'interroger l'inconnu:

-Qu'est-ce qui t'es arrivé? Tu t'es fait agressé?

-Non. J'ai eu un petit souci, on va dire. J'ai simplement des légers problèmes de famille, rien de grave.

-Ta famille est ici? demanda-t-il.

-Non, bien sûr que non... Heureusement d'ailleurs, sourit l'inconnu. C'était passager, il faut se concentrer sur autre chose, sur notre survie, c'est le plus important.

-Tu sais, ici j'ai l'impression que nous ne risquons pas grand chose de toutes façons. Tu veux en parler, de tes problèmes?

-Pas vraiment, je n'aime pas étaler ma vie. Et je ne sais même pas qui tu es, dit-il en haussant les épaules.

-Si c'est cela qui t'intéresse, je suis...

-Non, cria-t-il, ne me dis pas qui tu es !

-Pourquoi ça?

-C'est strictement interdit, rappelle-toi, tu serais "exécuté immédiatement". Nous sommes sur écoute.

Alex écarquilla les yeux, il était à deux dois de dire adieu à sa vie.

-Alors je ne saurai jamais avec qui je parle? conclut-t-il.

-Non, je ne pense pas, nos voix étant brouillées, nous ne pouvons même pas savoir si l'on s'adresse à un homme ou une femme.

-Ah bonjour l'aspect pratique...

-Oui, comme tu dis.

-Remarque, un jour, si nous nous retrouvons le jour à avoir la même discussion, je saurai que c'est toi, dit-il avec un soupçon de sympathie.

"Le seul endroit où je fais dans le social, c'est dans l'arène, quelle vie étrange je mène" constata Alex.

-J'ai peur dans cette arène, reprit l'inconnu, j'ai l'impression que tous mes cauchemars en resurgissent et me poussent à avoir des idées noires.

-Oh tiens les idées noires, soupira Alex. Ça me connait, les idées noires. Mais ça n'aide jamais. C'est juste un engrenage qui, une fois que tu es pris dedans, ne fais que te broyer pour que tu n'aies pas la force d'en ressortir.

-Oui, et j'en ai marre, je veux que ça s'arrête.

-Alors ne te positionne pas en victime, lève toi, et va de l'avant. Je n'y suis jamais arrivé mais au moins j'ai essayé, moi.

-Parce que tu penses que ça me fait plaisir d'être dans cette situation? Moi aussi j'aimerai aller de l'avant, rire pour rien, avoir des problèmes inutiles que je pourraient raconter à des amis, mener une vie simple. Mais ce serait faire semblant, je n'y arrive pas.

-Peut être que tu es mal entouré, suggéra Alex.

-Je ne suis pas entouré tout court, expliqua-t-il.

Alex eut l'impression d'être face à un miroir, face à lui-même. Il réalisa à quel point il était négatif et à quel point cela lui coûtait chère.

-J'aimerai bien t'aider mais je ne peux pas, j'y risquerai ma vie.

-Je sais bien, et c'est marrant parce que c'est toujours ce que l'on me répète. On voudrait m'aider mais on ne peut jamais. A croire que j'ai besoin d'assistantes sociales.

-Je ne voulais pas dire que...

-Ne t'en fais pas, j'ai l'habitude, ça ne me blesse plus.

Un silence s'installa. Ne sachant pas quoi répondre, Alex ne préféra pas se mettre à dos la seule personne qu'il aimait bien. Envenimer la situation n'était pas raisonnable. Tous deux à l'abri du danger dans cette chambre, ils décidèrent de monter la garde chacun leur tour pendant la nuit. Par chance, ils ne rencontrèrent aucun faucheur.

Et c'était ainsi qu'Alex rencontra Jasmina.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant