27. [Edward]

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« Merci de te préoccuper de mon avis, c'est toujours agréable", pointa Stanislas.

-Je suis désolé, j'ai agi sur un coup de tête. Nous n'avions pas le temps de nous concerter, tenta d'expliquer Edward embarrassé.

-Pas grave, ne t'inquiète pas. Seulement, à l'avenir, ce serait mieux que l'on réfléchisse ensembles. Sinon, je pense qu'il est risqué de s'enfoncer dans la forêt. Suivre le chemin qui bifurque sur la gauche plus loin semble la meilleure option. S'aventurer dans ce bois n'est pas la meilleure des idées.

-Oui, tu as raison.

- D'ailleurs, il y a quelque chose que je n'ai toujours pas compris. Tout à l'heure, qu'est-ce que t'as foutu? Il était à deux centimètres de toi le faucheur !

-Je n'en sais rien, mourir à ce moment-là ne m'aurait pas dérangé, je me sentais si bien, avoua-t-il.

-Ca ne t'aurait pas dérangé? interrompit Stanislas.

Il y eut un blanc.

-Eh, allô, nous sommes liés, je te rappelle. Si tu meurs, en plus de me retrouver seul, je perds l'une des rares personnes que je connais ici . Il en est hors de question. Ce serait égoïste que de se laisser mourir Edward. Ne fais plus jamais ça, tu comprends ?

-Je ne suis pas crétin, répondit-il. J'étais juste...

-Totalement pris d'un semblant de connerie, oui, conclut Stanislas.

-Je n'aime pas que l'on me coupe la parole, déclara l'adolescent sèchement.

Stanislas n'en revint pas, il crut rêver.

-Tu peux me répéter ça une fois, juste histoire d'être certain que je n'ai pas halluciné?

-Tu m'as très bien entendu.

Edward n'avait jamais eu de père et une quelconque forme d'autorité masculine exercée sur lui le rendait malade, il en perdait ses moyens.

-Tu te comportes comme un enfant, Edward. Se laisser tuer par un faucheur reste un acte peu réfléchi et les conséquences auraient pu être lourdes. Quand je dis ça, je ne te sous-estime pas, je te demande juste d'être un minimum mature. Ne me regarde pas comme ça, j'ai l'impression d'être une maîtresse qui gronde son élève, dit Stanislas gêné.

Edward ne répondit pas. Il était d'accord avec lui mais ne parvenait pas à l'admettre. La courte altercation lui permit de réaliser que tout était démultiplié désormais : ses émotions, ses réactions et son comportement. L'arène avait une influence sur lui et le rendait nerveux. Etant en pleine adolescence, il avait besoin de quelqu'un sur qui il pouvait se repérer et se fier.

Un malaise commençant à s'installer, Stanislas proposa de se rendre à l'asile pour se mettre en sécurité . La mine boudeuse, Edward approuva l'idée et le suivit.

Le pas de leur marche était lent mais ils avaient besoin de prendre des forces au cas où un faucheur arriverait par surprise. Edward pensait aux événements qu'il venait de vivre et ne s'était jamais senti aussi sollicité. Etant un garçon timide qui restait en retrait, il n'avait pas l'habitude que son existence puisse importer à quelqu'un.

Une demi-heure s'écoula jusqu'à leur arrivée à l'asile. Le bâtiment était sale et terni par la moisissure, une mauvaise impression s'en dégageait. L'odeur de la pourriture ne tarda pas à saisir les narines d'Edward. Devoir supporter cette infection ne le ravit pas.

Arrivés dos à l'asile, les frères de sang durent contourner le bâtiment. Pour y pénétrer, ils furent contraints de pousser une vieille porte en bois qui faisait un terrible bruit. Edward crut qu'ils s'étaient faits remarqués. L'accent fut alors mis sur la discrétion.

Le couloir principal atteint, ils découvrirent une allée de chambres abandonnées et délabrées . Passer devant chacune d'elles donna envie à Edward de déglutir le peu de nourriture qui restait dans le ventre. Sans conviction, ils se résignèrent à se cacher dans une chambre au fond à droite dont la porte était fermée. Après plusieurs tentatives, la poignée pivota et laissa la porte s'ouvrir.

Une fois à l'intérieur, Edward sentit le vent se lever et créer un courant d'air à travers le carreau cassé de la fenêtre, laissant un semblant de fraîcheur pénétrer la pièce. Les narines d'Edward vécurent une résurrection si intense qu'il ferma les yeux pour savourer l'instant pleinement.

Du haut de ses vingt et un ans, Stanislas était un habile aventurier. Le courage et la persévérance étaient les deux termes qui le définissaient le mieux sans mentionner son esprit cartésien. Ce qu'il aimait par-dessus tout, c'est le contact avec l'autre et l'enrichissement qu'il pouvait en tirer. Il s'agissait d'un homme exigeant mais juste.

Edward n'était qu'un adolescent, il le savait et il comptait le guider dans l'arène. Il sentait l'instabilité de son camarade et le fait qu'ils partagent le même rôle lui permettrait de l'aider plus facilement.

Alors qu'ils étaient en pleine discussion à propos des tribus, un bruit se fit entendre. Pensant que ce n'était rien d'important, Stanislas continua d'expliquer pourquoi la vie en communauté était enrichissante.

Un second bruit, plus fort et effrayant attira l'attention des deux jeunes hommes.

-Je crois qu'il vaut mieux partir d'ici, dit Stanislas.

-Pour aller où ? Rien ne nous dit que le danger est ici, c'est peut être un simple bruit un peu plus loin. Je refuse de sortir et de croiser un faucheur.

-Suis-moi et ne réfléchis pas, insista-t-il.

-Non. Moi je reste, déclara Edward.

-Des personnes se rapprochent, tu n'entends pas les bruits ? insista-t-il.

-Si mais qui te dit que ce ne sont pas des innocents? Et pourquoi les faucheurs voudraient-ils rentrer dans un asile?

-Edward nous ne sommes pas en sécurité ici, je te demande de partir avec moi. Je ne te force pas pour rien, je n'ai pas envie de te perdre, s'il te plaît.

Il resta de marbre.

-Non, je me débrouillerai.

Dépassé par sa bêtise, Stanislas s'emporta et enjamba la fenêtre de la chambre en un claquement de doigt. "Comment peut-il être assez bête pour ne jamais m'écouter", pensèrent les frères de sang au même moment.

Abandonné et livré à lui-même, Edward se laissa prendre par une fatigue soudaine. Même s'il lutta pour rester éveillé, la tentation étant trop forte, le sommeil parvint à l'extirper de cette arène maudite le temps d'un instant. Il se plongea dans un rêve si beau qu'il aurait aimé le voir devenir réalité.

Nastasia était là, ils se baignaient dans la rivière qui bordait la base de leur tribu. Ils riaient tous les deux, et leur complicité semblait atteindre son paroxysme. Il se sentait bien, apaisé. Son regard croisait celui de celle qui lui plaisait, elle le dévorait du regard et il en était complètement fou. Il en profita pour s'approcher d'elle lentement, déposant ses lèvres contre les siennes. Il ne s'était jamais senti aussi vivant.

"Je sais que tu es là", fit une voix. Edward ria naïvement. "Cela ne sert à rien de bouger, j'arrive".

Un bruit. Le même. Encore autre, toujours plus fort, toujours plus puissant. Edward ne comprit pas. C'était alors que ce bruit l'arracha de son rêve éveillé qu'il vit une faux enfoncée dans la porte de la chambre.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant