15. [Alex]

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L'esprit d'Alex dirigeait le corps du faucheur. Obtenir des réponses à ses interrogations incessantes le préoccupait. Lentement, il détacha le collier détenant la clef autour du cou du faucheur et laissa s'échapper la fine clef en cuivre. Décidé à découvrir ce que renfermait le cabanon, il se rendit sans attendre devant l'entrée. Une majestueuse porte en bois ne laissait pivoter la clef que difficilement. 

Alex n'entra qu'après plusieurs tentatives. Eclairée, la pièce dans laquelle il venait de pénétrer présentait un tableau de bord surplombé par une vaste carte. Alex remarqua que des stations de métro y figuraient, accompagnées de noms tels le Bosquet de l'Agonie, les Falaises Jumelles ou encore Everlasting Wonderland.

Il ne sortirait jamais d'ici, les faucheurs n'arrêteraient pas de se déchaîner. Il n'y avait pas d'espoir. Choisir devint une nécessité. Rester là, seul, à penser aux manières dont il pourrait se laisser mourir était une possibilité, mais il pouvait également se projeter et se dire que même si le futur sera toujours teinté par les couleurs de ses démons, il fallait tenter quelque chose. Il fallait laisser une trace, laisser comprendre au monde qu'on ne peut abandonner qu'après avoir essayé, encore et encore sans ne jamais avoir laissé tombé. Un message, une empreinte, un signe.

Rien ne semblait réel, tout était décuplé. Les émotions valsaient au rythme de la nuit et la mélodie ne semblait jamais s'arrêter. Pourquoi une violence si gratuite ? Pourquoi cette indifférence ? Il en voulait à ce monde qui lui avait permis de voir le jour, de respirer et de suffoquer face à la laideur du comportement humain. Si gratuit, si facile, si cruel. Un simple coup de faux pouvait mettre fin à une vie, à la vie d'un innocent et il ne pouvait supporter cette idée.

Mais à cet instant précis, la faux n'était pas guidée par son maître. Alex pouvait en faire ce qu'il souhaitait. Le sang d'un innocent ne coulerait pas en sa présence ce soir. Ceux qui paieraient le prix de la vie seront ceux qui voulaient tant l'ôter aux autres. Parfois, pour comprendre, il fallait ressentir. Alors Alex sortit du cabanon le cœur lourd. Il ramassa le faux par terre, avança vers le carrousel et pensa à ce qu'il allait faire. Son choix était fait. Il ne reviendrait pas dessus. Un message, une empreinte un signe. Oui, une mort. La seule mort justifiée qui montrerait un symbole que personne n'oublierait. Ressentir, rien que pour une fois. Laisser les émotions submerger son corps et purger les pêchés de ceux dont le chemin s'était éloigné des simples choses. L'amour, l'amitié, la bonheur, la réussite, l'épanouissement.

Alex monta sur le carrousel. La faux fermement tenue dans la main droite, il laissa un soupir s'échapper. Le temps de quelques minutes, il oublia qu'il avait changé de corps. Se regardant à travers les yeux d'un étranger, il se sourit et sut qu'il était prêt.

Délicatement, il leva la faux, la plaça face son ventre et posa sa deuxième main sur le manche. Il ne se posa pas question: sa décision était prise. Alors qu'il contractait ses muscles, son cœur se mit à battre, de plus en plus fort. Il ferma alors les yeux et s'enfonça la faux acérée dans l'abdomen. Ne sentant pas la douleur, il continua de l'enfoncer de toutes ses forces. A mesure que la faux pénétrait son corps, il eut l'impression de perdre une partie de son âme. Il sentait qu'il quittait petit à petit le corps du faucheur. mais continua à exercer la même force sur la faux qui finit par transpercer entièrement le ventre du faucheur. Le sang coulait lentement et abondamment le long de ses habits noirs. Une flaque ne tarda pas à envahir la sol.

Ce soir, le coupable était mort, justice avait été rendue. Un regret? Il n'y en avait pas, aucun. Du moins, pour l'instant.

Alex avait quitté le corps du faucheur. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'il reprenne ses esprits. Il ne s'était jamais senti aussi bien auparavant. Il se leva pour regarder le corps du faucheur tourner sur le carrousel. Il n'avait pas fini. Le message n'était pas assez clair. Alors s'il s'approcha du cadavre, trempa ses mains dans le sang et marqua sur le sol de sa plus belle écriture "Autel pourpre". Si quelqu'un s'était amusé à inventer des noms dans cet endroit, alors pourquoi ne pas se montrer coopératif?

Avant de quitter les lieux du crime, il se munit de la faux et décida de se rendre à ces fameuses Falaises Jumelles. Peut être aura-t-il le courage de sauter cette fois. Après tout, son père n'était plus là pour le retenir.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant