17. [Edward]

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Edward se réveilla péniblement. Une migraine faisait écho dans sa tête et la fatigue envahissait chacun de ses membres. Il sentait son cœur battre comme la trotteuse d'une horloge au son machinalement répété. 

Ses mains effleurèrent une matière particulièrement froide. Ses doigts se crispèrent: il détestait cette sensation de froid qui pouvait le mettre dans tous ses états. Il essaya d'animer ses membres après quelques longs instants d'immobilité, mais des lanières de cuir disposées au niveau de ses mains et de ses pieds empêchaient tout mouvement de sa part. Une sensation d'impuissance montait et formait avec un semblant d'inquiétude qui ne manqua de l'inquiéter.

Une odeur vint se glisser dans ses narines. L'endroit sentait le neuf, le propre mais le soupçon de renfermé que celui-ci dégageait le dégoûtait. Il n'arrivait pas à se calmer, l'incompréhension le torturait chaque seconde.

Sa gorge était sèche et nouée. Depuis son réveil, un goût étrange demeurait dans sa bouche. Il essaya de l'identifier, en vain, cet arôme lui était bel et bien étranger.

Des bruits de respiration se faisaient entendre: des personnes étaient présentes, il en était certain.  Un son en particulier l'intrigua, celui du sable qui s'écoulait lentement. Il pensa tout de suite au son d'un sablier, mais ne comprenait pas ce qu'un tel objet viendrait faire là.

Il essayait de se débattre de toutes ses forces puis se mit à crier lorsqu'il comprit que ses mouvements étaient inutiles. Le son de sa voix juvénile résonna dans la pièce et il sentit un fouet érafler sa joue, laissant une trace écarlate sur son visage. Il cria à nouveau de stupeur. Un nouveau coup tomba tout de suite. Il ne pouvait pas se laisser battre, quelque chose en lui l'empêchait de rester dans cette position de soumission. Il entendit un léger souffle à son oreille. Tu n'es que ma chose ici, fit une voix enjouée. Cette simple phrase, dont il ne connaissait pas l'origine, l'énerva. Il eut envie d'allumer la lumière, de se détacher et de frapper de toutes ses forces cette personne qui s'amusait à jouer avec son impatience.

Soudainement, une lumière pénétra la pièce, illuminant les quelques vingt-quatre personnes qui étaient assises autour d'une immense table ronde. Toutes ces personnes étaient attachées exactement de la même manière qu'Edward. Ses pressentiments se confirmèrent, il n'était pas le seul dans ce lieu si étrange. Le jeune adolescent ressentit une forme d'infériorité lorsqu'il vit l'âge moyen des personnes qui l'entouraient.
Bien qu'il connaissait ce sentiment, être le petit jeunot du groupe ne lui avait jamais plu, et encore moins cette fois-ci.
La personne qui lui avait parlé quelques secondes auparavant semblait s'être éclipsée.

Tout à coup, la table s'anima, comme si un mouvement la parcourait. Après plusieurs secondes de tremblements, ses bords se dressèrent, puis se rangèrent avec précision dans de grandes encolures. Un bruit insupportable se fit entendre, comme une craie éraflant un tableau noir. Le son semblait provenir du centre de la table. Plus le temps passait, plus celui-ci devenait fort.

Edward aperçut une silhouette qui s'élevait du centre de la table. Un homme en costume en sortait laissant sa tête se découvrir avec des lunettes et un visage qui ne lui paraissait pas familier. Son sourire malsain et ses expressions lui donnèrent un air très peu rassurant. Le masque noir qu'il portait lui donnait à la fois un air de bourreau et de séducteur. Cet homme serait capable d'envoûter n'importe qui, et ce d'un simple regard. Toute l'attention était braquée sur lui, et il finit par briser le long silence qui régnait dans la salle.

« Bienvenue à toutes et à tous, chers compatriotes,
Je vous ai réuni en ce jour pour réaliser quelque chose, de grandiose. Aujourd'hui marquera à jamais le début d'une aventure  fantastique. Vous êtes officiellement mes sujets pour la reproduction en taille réelle d'un jeu intitulé "Le Jeu des Faucheurs". Félicitations pour vos exploits cette nuit, vous m'avez impressionnés. Désormais, chacun d'entre vous se verra assigner un rôle qu'il devra respecter sous peine d'être torturé à mort, par mes soins bien sûr. », déclara-t-il, amusé.

« La majorité du temps, vous vivrez dans de vastes biomes, que je trouve particulièrement somptueux, par leurs ressources inépuisables et leurs climats uniques. Vous devrez construire vos propres habitats à partir de ces terres et serez répartis par tribus de trois. Nous sommes à l'aube, et vous avez jusqu'au crépuscule pour vous bâtir un toit. Vous en aurez besoin pour prendre les forces nécessaires à votre survie. N'oubliez-pas que votre tribu est votre nouvelle famille, alors battez-vous pour sa survie.

Je vous dis à ce soir pour la suite, bien sûr », dit-il, d'un ton étonnement jovial.

Aussitôt qu'il eut fini sa phrase, la pièce fut replongée dans le noir le plus complet. Un long silence régnait dans la salle. Edward aurait bien pleuré, mais la stupeur l'en empêchait, comme une vieille amie qui vous évite l'erreur fatale.

Un faisceau de lumière survint derrière son siège. Il se retourna et fixa cette lueur, la lumière du jour qu'il ne crut jamais revoir d'une telle pureté. Les lanières de cuir le libérèrent, laissant la mobilité revenir à ses membres. D'instinct, il se leva, doucement, tendrement, comme s'il était dans un rêve. Il eut l'impression de revivre dès lors que l'air frais s'engouffra au plus profond de ses poumons. Le terme de résurrection n'avait jamais eu autant de sens dans sa tête. Il prit quelques minutes pour s'en remettre puis inspecta chacun de ses membres, un par un, et ne constata aucune blessure, même pas un semblant d'égratignure. Cependant, il remarqua le chiffre cinq, tatoué sur son poignet. L'encre noire se fondait dans sa peau, comme si la marque avait toujours été là.

Il entendit soudainement un bruit, comme des pas qui se rapprochaient de lui, puis sentit une main se poser sur son épaule, et apprécia la chaleur fraternelle qu'elle dégageait.

-Salut, camarade, souffla une voix.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant